Baby Face commence comme un de ces chefs-d'oeuvres du pré-code (je pense ici au Champion de Vidor, Scarface de Hawks, Je suis un évadé de LeRoy, Les Enfants de la crise de Wellman, et quelques autres), ces films crus, qui abordent frontalement des sujets comme le sexe, la pauvreté, le bagne, et qui parviennent à outrepasser - plus ou moins - les codes sclérosant qui seront ensuite établis pour un bon moment.
Le premier plan d'exposition montre la ville industrielle avec ses cheminées crachant la fumée, puis les ouvriers dans la rue se dirigeant allègrement vers l'appartement qui leur sert de bar pendant la prohibition. C'est sale, poisseux, ça se sent. C'est pour ça que j'aime le cinéma américain des années 1930 qui montre la saleté : la plupart du temps ça permettait une certaine dynamique, une audace formelle, un jeu d'acteur plus naturaliste entre autre, qu'on ne retrouvait pas forcément dans ce que j'appellerais assez bêtement le "cinéma d'appartement". Dans cette première scène, on rentre directement dans une ambiance. Le piano en fond sonore, très bruyant, qui rappelle l'aspect éphémère, sale et intime de ce bistrot ; les clients, à la peau luisante, rustres, aussi bruyants que le piano ; la fumée de tabac qui progresse rapidement dans le salon ; le gérant, interprété par Roger Barrat, cet acteur aux allures délirantes et autoritaires ; et la domestique Noire chantonnant, qui, étonnamment pour l'époque, est non seulement interprétée par une belle femme mince, mais surtout ne laisse pas percevoir un caractère simplet. Puis arrive l'actrice du pré-code, Barbara Stanwyck, qui interprète Liliane, la fille du gérant. On la voit arriver par un escalier extérieur, marchant nonchalamment, dans un plan en plongée qui, même s'il peut paraître banal aujourd'hui, contraste avec ces plans fades et répétitifs qu'on retrouve dans le "cinéma d'appartement", et donc ça fait du bien, enfin ça laisse surtout espérer du film qu'il sorte de l'ordinaire, esthétiquement. Liliane est convoitée par la clientèle, mais celui qui l'intéresse est un client en marge, un bonhomme fougueux, qui l'initie à la philosophie nietzschéenne et lui conseille, pour réussir socialement, de se servir des hommes. La scène qui suit (le père qui offre sa fille à un politicien en échange de la couverture de son bar) montre à la fois la lâcheté du père, la corruption possible de la politique et l'assurance de la jeune fille dans l'adversité. La première scène qui montre la nouvelle approche de la vie de Lily est assez saisissante : Lily, accompagnée de sa domestique, quitte le Sud pour rejoindre New York à bord d'un train de marchandises. Elle se font repérer, ce qui permet à Lily d'expérimenter sa méthode pour la première fois. Esthétiquement, la scène est très bonne, tout y participe : la lumière ; les regards que Barbara Stanwyck jette à l'homme ; les silences ; les déplacements de chaque personnages, Lily marchant lentement vers un coin très sombre du wagon et fumant sa cigarette en attendant que l'homme la rejoigne, la domestique s'éclipsant dans l'autre sens, en souriant de la situation et chantonnant doucement un blues. Cette scène est percutante.
La suite du film malheureusement s'avèrera trop répétitive (à partir d'un certain moment) : on suit la montée sociale de Lily dans une banque, elle se sert d'hommes de plus en plus haut placés, et ça finit en happy end qui n'a aucune logique avec le reste du film, mais bon la censure tout ça. Mais même sans cette dernière scène, il n'y a pas d'évolution dans le personnage de Lily (à part la dernière scène évidemment, mais c'est fait superficiellement), ça va nul part. Il y a quelques effets dramatiques sympas mais l'idée de base n'est pas exploitée, elle se contente de se recycler à chaque nouvel homme qu'il y a à séduire, sans rien apporter de nouveau.


A voir en tous cas pour le premier tier.

Nicolas_Robert_Collo
6

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le 16 sept. 2015

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Gregor  Samsa

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