Little Black Spiders, émotion et sensibilité

Il est très rare qu’un film belge fasse l’unanimité mais Little Black Spiders pourrait bien la faire. Inspiré d’une histoire vraie, ce film nous heurte par l’excellence de sa réalisation.

Voici venir à l’horizon la sortie du film « Little Black Spiders » narrant l’histoire véridique de plusieurs jeunes filles enceintes envoyées en pension afin d’accoucher dans la sérénité mais surtout dans l’anonymat.

Ne tournons pas autour du pot, ce film flamand est un pur bijou du septième art et mérite certainement de nombreux prix pour la mise en scène époustouflante de Patrice Toye mais aussi pour les interprétations bluffantes de jeunes actrices belges jusqu’ici méconnues. Ce récit dramatique est inspiré d’une histoire vraie s’étant déroulée en Belgique et dont nous ignorions l’existence.

Le fossé linguistique

Dans notre petit royaume, les âmes sont nombreuses mais le territoire ne s’étend que sur une surface aussi plane que dérisoire. Pourtant, et ce n’est pas un scoop, le fossé culturel qui sépare les deux communautés principales du pays est immense. C’est pour cette raison que le cinéma néerlandophone ne perce pas vraiment en Wallonie et vice-versa. Un manque d’ouverture dommageable pour les cinéphiles car la Flandre a une belle carte à jouer sur le plan international en produisant des films de qualité. Une qualité incontestable qui nous amène même au constat d’avouer que les deux derniers coups de cœur qui nous ont été amené de voir étaient flamands, Hasta la Vista et Little Black Spiders. Malgré cela, le cinéma flamand s’inscrit totalement dans la lignée du film belge qui tient en estime l’individu et sa situation sociale plutôt que le groupe et la cocasserie dont les studios hexagonaux sont beaucoup plus friands.

Quand l’Eglise fustige la création

La petite araignée noire, c’est celle qui tisse sa toile dans le coin d’une pièce à l’abris des regards. Discrète et inoffensive, elle n’en reste pas moins nuisible aux yeux des gens. Ces jeunes filles cachées dans le grenier d’un hôpital de province sont les prédateurs vertébrés de la toute puissante église catholique qui ne tolère dans ses rangs que le standard, l’uniformité mais surtout, la propreté physique et morale. Traitées telles des impures, ces jeunes jouvencelles sont placées sous l’égide de bonnes soeurs qui feront tout ce qui est en leur pouvoir pour cacher aux yeux des gens la honte de donner naissance à un âge précoce. Et pour cause, faisons fi de toute fracture émotionnelle engendrée chez ces jeunes femmes à la grossesse souvent non désirée. Voilons la réalité de la vie et méprisons les désirs de l’individu au profit d’une pseudo-moralité sociétaire moyenâgeuse.

Ce film impose évidement au spectateur de casser ses codes et de poser un regard critique sur la société belge de la fin des années 80, c’est-à-dire hier. Le spectateur, mal à l’aise dans ce jugement, voit une dure réalité qui frappe encore aujourd’hui de nombreux pays à travers le monde : les grossesses honteuses. Alors, ce long métrage s’érige-t-il en pamphlet de la religion ? Pas tout à fait, il ne fait que relater une tranche de vie et la contradiction d’une institution millénaire, symbole de la création mais porte-drapeau de la stabilité et du conservatisme.

L’isolement contre-libertaire

Katja, incarnée par la sublime Line Pillet, est l'emblème du contre-pouvoir. Seule, orpheline et éperdue par une relation ambiguë qu’elle pense idyllique, elle est l’une des seules à voir l’envers du décor. Bien plus futée et mature que ses congénères, elle est bien décidée à changer la donne. Son personnage est à la fois simple et complexe. Ses allures de jeune fille de bonne famille à la mèche bien mise contredisent ses blessures internes qui l’ont certainement amenée à cet endroit. Fragile comme du verre blanc mais déterminée comme le dernier homme, Katja est une icône, le genre de personnage qui ne laisse personne indifférent.

Patrice Toye a choisi la meilleure actrice qu’on pouvait y apercevoir, Line Pillet. Par son visage poupon et la profondeur de son regard, on suit pas à pas l’évolution lente de cette jeune fille vers la mère qu’elle voudra être. Cette maternité tant attendue est d’autant plus forte pour elle, orpheline, qui n’a pas de mère sur qui s’appuyer pour noyer son chagrin et ses angoisses. Katja est bluffante, envoûtante et admirable. Elle tient en son ventre la vie de son enfant mais également sa vie, celle qu’elle aurait voulu. Dès lors, on se sent enfermé à l’instar de la protagoniste principale du récit. On vit sa vie, on pleure et on rit en même temps qu’elle.

Une qualité pluridisciplinaire

Patrice Toye a su bien s’entourer pour faire de ce film un chef d’oeuvre. Premièrement, l’histoire est très bien écrite et les situations que vivent ces jeunes filles nous rappellent des grandes scènes du cinéma comme le cercle des poètes disparus, ode à la liberté et à la créativité. Deuxièmement, la qualité visuelle rendue par le directeur de la photo nous embarque dans un conte magique où la réalité laisse transparaitre une certaine irrationalité, métaphore parfaite de l’esprit des adolescentes présentées. En outre, le coeur se noue à plusieurs instants, dû en grande partie au jeu de lumière choisi. Enfin, il faut souligner le travail effectué sur le plan musical qui nous propose une bande originale mirifique.
Des actrices, des interprètes

Pour terminer cette analyse, nous nous devons de parler de la kyrielle de jeunes actrices présentes au casting. Professionnalisme, émotivité scénique, précision de la gestuelle, tout est impeccable, en particulier chez Line Pillet et Charlotte De Bruyne. Être actrice, c’est jouer un rôle, le rendre vivant et le transposer à l’écran ou sur une scène. Être interprète d’un rôle, c’est lui donner un sens, le magnifier et traduire les émotions du personnage. C’est ce dernier qualificatif que nous retiendrons pour ces deux dramaturges à primer au plus vite.

Un film à vivre

En résumé, Little Black Spiders est un film à ne manquer sous aucun prétexte. Ce long métrage belge prend littéralement aux tripes. Il nous révolte, il nous chagrine, il fait ressortir de nous la compassion que l’on y avait enfoui. Vivez cet instant de bon cinéma, vivez la vie de Katja, allez le voir.

Matthieu Matthys
LeSuricateMag
9
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le 5 janv. 2013

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