L'Espace mort du Geek et la résurgence du Cinéphile

Constellé de références tirées de ses modèles de papier, Logan s'est épanoui sans heurt dans le film de super-héros contemporain. La réponse est sans appel au vu du succès que le public lui a réservé. Et c'est peut-être là que réside la mésentente ou plutôt l'incompréhension culturelle entre le blockbuster de James Mangold et la frange Geek aux aguets. Ces derniers, en terrain conquis, fouinent les recoins du décors tout en filtrant chaque ligne de dialogue. La quête passionnelle et désormais indispensable de l'easter egg s'amorce et se doit de faire le lien entre le médium comic Book et sa représentation en phase terminale du réalisme: le film live. Ludique s'il en est, cette chasse au trésor des érudits du Marvel Universe s'établit dans le sillage de l'opus précédent : The Wolverine retitré en France pour l'occasion Le combat de l'immortel. Si la continuité mythologique ne manque pas d'être faite par une simple lecture en surface entre ce long métrage inspiré par l'arc scénaristique Wolverine par Chris Claremont/Frank Miller et The Uncanny X-men #173 par Paul Smith/Chris Claremont, l'imagerie désirée par James Mangold sur Logan a plus l'ambition d'être un levier du Septième Art (nous y reviendrons) qu'un cache-cache référentiel planqué dans la multiplicité de comics dont il est issu. Le réalisateur de Copland joue pourtant le jeu de raccrocher les wagons de son segment et de l'inclure dans la franchise initiée par Bryan Singer en 2000: Sous le dôme, à l'abri des attaques psychiques intempestives, Charles Xavier se remémore l'attaque de la Statue de la liberté puis évoque l'épisode des combats clandestins du mutant griffu précédents son accueil dans l'institut pour "jeunes surdoués". Les plus attentifs repéreront le sabre du Combat de l'immortel disséminé dans un coin du cadre, la plaque militaire de Wolverine: Origins, le nom d'emprunt Howlett (véritable patronyme de Logan) utilisé comme substitut d'identité lors d'une scène de repas ou encore les fondements esthétiques de Old Man Logan et sa base post-apocalyptique.


L'énumération des éléments raccordant Logan au comic Book n'est qu'un exercice stérile destiné à entretenir la flamme mythologique du mutant dans un environnement réaliste. Dans cette optique, il est improbable de retrouver la copie conforme du Wolverine plébiscitée au travers de la BD sur grand écran. Cette version cinématographique humanisée et plus glamour laissant de côté la rage animale et la petite taille du personnage 1M60 contre 1M91 de Hugh Jackman permet la réappropriation de la figure héroïque dans un cadre authentique expurgé du côté serial. La volonté de Mangold transparaît alors dans le souhait de se délester du poids de l'héritage Super-heroique pulp actuel et d'en effectuer un potentiel retour en arrière aidé de l'épure et du classicisme westernien, l'artiste s'étant déjà exprimé sur le sujet avec son remake de 3h10 pour Yuma et la fusillade finale de Copland. D'ici que l'on taxe la note d'intention de Logan de réactionnaire - évinçons la cape et les bottes au profit d'une paire d'éperons - il n'y a qu'un pas que l'on franchira le sourire aux lèvres même si l'aventure aux accents funestes annonce plus une immolation métaphorique sur une place publique plutôt qu'un souhait de renaissance du genre chéri par Howard Hawks et John Ford. Pourtant, à l'instar des Maîtres précités, James Mangold narre, à sa manière, la fin d'une civilisation mutante là où Ford racontait la genèse d'un jeune continent offert aux pionniers Européens tout en liant la perte future du peuple amérindien. Une peinture rurale qui du Convoi des braves jusqu'au Cheyennes témoigne du regard nuancé de son auteur à mesure de l'évolution de sa filmographie. Dans tous les cas, c'est un morceau de l'Amérique que l'on conte mais cette fois-ci du point de vue d'une minorité composée de trois parias: Un homme animal, un mastermind et une créature Nosferaturienne. Ce reflet déformant - cette uchronie - d'une Amérique désintégrée par la perte d'une de "ses progénitures" - Les mutants sont aussi les enfants de Dieu - sonne comme l'échec d'une démocratie qui avait pourtant toutes les cartes en main pour accomplir son projet de vie sociale. Logan se présente comme la perte des idéaux Fordiens - la famille, les mythes fondateurs - mais également enraye le positivisme de Stan Lee et Jack Kirby dont le comic originel X-Men, allégorie politique de la lutte des minorités face à l'opinion publique, trouvait un sens dans l'Amérique des sixties. Charles Xavier abordant la prestance et la rethorique de Martin Luther King - I have a deam - et Magneto proche de l'extrémisme de Malcolm X pour une résultante politique aux antipodes du vivre ensemble. Dans cette mesure, l'exécution finale de Logan "crament" plus le genre du western à la manière de La Horde sauvage de Sam Peckinpah, les thématiques de la vieillesse et de la fin d'une époque remisent sur le devant de la scène. Qu'il y est une filiation "involontairement volontaire" entre le Pike de William Holden et le Logan de Mangold ainsi qu'une localisation géographique centrée sur les états du sud limitrophes du Mexique (Nouveau Mexique d'un côté, Californie et Nevada de l'autre) accentuent la perspective rocailleuse du no man's Land. Une terre sans foi ni loi dépourvue de reconnaissance architecturale (à l'exception de Vegas où Wolverine fera face aux reavers) marquera la fin des agissements du mutant et la naissance d'une nouvelle génération avec à sa tête X-23 (Dafne Keen).


Selon l'expression consacrée par Clint Eastwood dans le livre de Richard Schickel, le western est un "Espace mort". Dans le plus pur style du réalisateur d'Impitoyable et d'un Monde parfait auquels il fait résolument référence, James Mangold, en grand fossoyeur, fait du super héros le nouvel espace mort du geek tout en s'octroyant l'imagerie du western moderne. Une transition du genre célébrant en fanfare le retour du cinéphile


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le 18 août 2023

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