Lorsque sort sur les écrans Lost Highway (1996), quasiment 7 ans se sont écoulés depuis sa palme d'or pour Sailor & Lula (1990), entre temps David LYNCH a produit l'une des séries les plus acclamées et les plus fascinantes jamais réalisées pour la télévision "Twin Peaks".

Lynch qui se définit lui-même comme le cinéaste de l'abstrait, délivre une oeuvre hermétique, qui demande au spectateur de se défaire de son esprit rationnel et cartésien pour libérer son inconscient, privilégier sa psyché à l'oeuvre durant les rêves afin d'appréhender un récit non linéaire où les questions soulevées resteront sans réponses, mais pas sans interprétations.

Un cinéma qui peut décontenancer et que certains rejetteront, mais qui chez moi provoque un bouleversant sentiment de plénitude. J'aime les films classiques dans leurs narrations, les histoires simples avec des tenants et aboutissants identifiables, mais j'aime aussi quand un film me bouscule, m'invite à me questionner sur ce que je viens de voir, me distille quelques éléments parfois fugaces, parfois référencés pour m'indiquer une piste de réflexion. Autant le dire, j'ai ici été particulièrement satisfait, dans le style c'est une véritable pépite, un travail d'orfèvre sur la mise en scène, le montage, le design sonore et la musique, font de ce film un chef d'oeuvre.

Dans une sorte de danse macabre où le film noir à la Alfred HITCHCOCK rencontrerait les figures "freaks" du cinéma qu'affectionne Lynch et se confieraient les uns aux autres dans une impudeur et une introspection freudienne, Lynch nous invite à descendre dans l'inconscient troublé de son personnage principal Fred Madison.

Bill PULLMAN délivre une prestation bluffante, incarnant ce personnage dont la psyché torturée et sombre, nous apparait très vite, il est un musicien talentueux, jouit d'une réussite sociale certaine illustrée par la maison d'architecte qu'il occupe avec sa femme, la sublime et trop rare à mon goût Patricia ARQUETTE, cependant une jalousie maladive l'envahit peu à peu et d'étranges cassettes vidéos laissées anonymement devant chez lui sur lesquelles un étranger a filmé chez lui et sa femme durant leur sommeil l'entraine inexorablement vers le drame.

Comme toujours dans ce genre de proposition cinématographique, l'interprétation du spectateur est quasiment au centre de la création, cependant on peut chacun y apporter son analyse, voici la mienne qui n'est pas meilleur qu'une autre.

Selon moi, Lynch nous montre et nous met en scène la schizophrénie, il nous plonge dans l'esprit de Fred Madison, et tout dans le film sert à symboliser cela. La maison d'abord est à comprendre dans son acception psychanalytique, elle symbolise l'esprit de Fred, elle est la partie visible, sociale, celle des échanges avec les autres, mais elle est aussi à travers les pièces privées et les étages qui la compose, la partie enfouie, celle du subconscient et par le jeu des miroirs, des ombres, des voiles et rideaux, les frontières entre ces deux entités de l'esprit deviennent de plus en plus floues, poreuses et l'inconscient finit par dominer le conscient.

Les cadrages jouent aussi sur cette ambivalence, Fred n'est jamais cadré en plein centre, il semble toujours écrasé par son environnement, sa réalité le domine, il devient central uniquement dans les reflets ou dans les manifestations plus ou moins évidentes de son subconscient.

Les cassettes vidéos semblent symboliser, selon moi, ces événements successifs, qui ne sont pas mentionnés, mais qui petit à petit ont mis à jour cette schizophrénie latente, que Lynch s'évertue à filmer comme un peintre surréaliste s'évertue à coucher sur sa toile, les images fantasmées de l'onirisme, mais qui semblent être imperméables à toute analyse rationnelle.

La folie qui s'empare de Fred, sous les regards inquiets de ses proches, cette folie qui le prend à tout moment, lui provoquant des visions oppressantes et angoissantes, l'homme mystérieux par exemple, n'existe je pense que dans sa tête, et il y incarne la part la plus sombre de son esprit, il est cette voix que disent entendre les patients atteints de ce trouble psychiatrique.

Le design sonore, joue lui aussi avec cette ambiguïté tantôt en décalage sensoriel avec l'image, tantôt sublimant un élément, ou encore accentuant l'effet de mise en scène virtuose qui nous plonge dans une grande perplexité. La musique concoure également à l'ambiance Badalamenti signant l'une de ses partitions les plus sombres à laquelle sont adjointe les ténébreuses musiques de Trent Reznor ou Nine Inch Nails.

Un second acte, introduit par l'administration d'un puissant somnifère et la phrase "maintenant vous allez dormir" nous révèle je pense, la profonde psyché de Fred, je crois que tout ce qui est développé dans cette partie, n'est que l'imagination de ce dernier, qui inconscient et amnésique du drame auquel sa schizophrénie l'a conduit, se projette dans un rôle. Il y a d'abord ces troublantes similitudes, des présences familières mais qui à lui paraissent inconnues, des personnages troubles sortis de ses rêves et cauchemars, le souvenir éthéré d'êtres disparus, les parents sont à mon avis un pur produit de sa folie, d'ailleurs ils disparaissent tels des spectres et surtout Pete Dayton, joué par le très bon Balthazar GETTY incarne selon moi, ce double qui n'existe que dans la psyché de Fred Madison.

Cette route plongée dans la nuit la plus obscure qui nous mène on ne sait où, n'est que la plongée en apnée dans un cerveau malade et d'où il ne sortira que des questions aux réponses infinies, tout comme la schizophrénie reste un mal incompris.

Je pourrais encore développer cette interprétation toute personnelle pendant longtemps, mais vous avez saisi l'essentiel.

Film à la beauté formelle indéniable, jouissant d'une maestria de réalisation rarement atteinte, où les questions fondamentales se heurtent à des impasses et où nous sommes conviés à ressentir plus qu'à comprendre, dialoguera parfaitement avec une autre de ses oeuvres majeures, le tout aussi troublant mais pas moins passionnant Mulholland Drive (2001).

Créée

le 20 sept. 2022

Critique lue 31 fois

1 j'aime

Critique lue 31 fois

1

D'autres avis sur Lost Highway

Lost Highway
Sergent_Pepper
10

« You invited me. It’s not my custom to go where I’m not invited ».

Avant de tenter d’attraper au vol le manège spiralaire de Lost Highway et de trouver un siège libre sur l’une de ses Cadillac rutilantes, restons sur les bancs qui l’entourent, réservés aux parents...

le 27 déc. 2013

306 j'aime

29

Lost Highway
Velvetman
10

La route enchantée

Sous le nom de Lost Highway, se cache une violente virée dans l'inconscient d'un homme brisé par sa souffrance ; elle-même, induite de sa propre culpabilité. Qu'il y a-t-il de plus humain que de...

le 30 janv. 2015

124 j'aime

10

Lost Highway
Gothic
8

Highway to Elle

J'étais parti pour mettre 7. N'ayant pu écrire et noter juste après avoir vu le film (maintes fois conseillé ici et ailleurs, merci au passage), le constat à froid est sans appel: je dois me résoudre...

le 15 févr. 2015

88 j'aime

32

Du même critique

As Bestas
Spectateur-Lambda
8

Critique de As Bestas par Spectateur-Lambda

Rodrigo SOROGOYEN m'avait déjà fortement impressionné avec ses deux premiers longs métrages Que Dios nos perdone (2016) et El Reino (2017) et les échos que j'ai eu du précédent sorti avant celui-ci...

le 2 mai 2023

7 j'aime

2

La Mouche
Spectateur-Lambda
8

Critique de La Mouche par Spectateur-Lambda

Retrouver la société de production de Mel BROOKS au générique de ce film n'est pas si étonnant quand on se souvient que le roi de la parodie américain avait déjà produit Elephant Man (1980).Un autre...

le 3 oct. 2022

7 j'aime

4

Le Règne animal
Spectateur-Lambda
8

Critique de Le Règne animal par Spectateur-Lambda

C'est compliqué le cinéma de genre en France ! C'est compliqué parce que l'industrie rechigne à financer ce cinéma. C'est compliqué parce qu'il souffre, à tort, de la comparaison avec les mastodontes...

le 9 oct. 2023

5 j'aime