Love a le goût du souvenir des derniers baisers. Le goût de ceux dont on ignorent qu'ils seront à jamais orphelins. L'oeuvre a la douceur un peu romancée des moments partagés en communion et porte à la fois en elle la souffrance blême du deuil d'une histoire qu'on aurait voulue éternelle.


Love reprend peu ou prou la structure d'Irreversible, brouillant un petit peu plus sa chronologie et les repères du spectateur pour mieux l'immerger dans les sentiments contraires et hypertrophiés dont il déborde. Les premières minutes sont crépusculaires, emprisonnées, comme Murphy, son personnage principal, dans la chambre conjugale, aux côtés d'une femme qu'il n'aime pas. Qu'il n'aime plus. L'image donnée du ressenti de Murphy fait froid dans le dos et glace le sang, comme la perspective d'une condamnation à mort inéluctable. Quand il apprend la disparition inquiétante de l'amour de sa vie, entre silence et envie de s'éloigner de l'influence de la mère de son enfant, il repense à ce qu'il a vécu avec elle. Certainement les plus beaux moments de sa vie.


Il se dit qu'il est responsable et qu'il a fait les mauvais choix. Qu'il a succombé au désir sauvage et irrépressible des coups d'un soir. Il régresse jusqu'à se recroqueviller, tel le foetus dans le ventre de sa mère qui n'a jamais dépassé le stade de l'enfant roi. Celui qui a déjà les plus beaux jouets dans ses mains mais qui désire tout ce qui passe à portée de son regard. Celui qui satisfait ses envies dans l'instant, sans barrières ni garde-fous. Celui parfois violent, souvent égoïste, mais à la fois capable de l'abandon et de la communion passionnelle, de la plus douce des attentions et des caresses. Noé tend à son personnage un miroir qui reflète le visage d'une masculinité peu flatteuse et faible, immature et indécise, qui prend enfin ses responsabilités quand elle fait face au mur.


Quand Electra paraît, le discours change et se focalise à la fois sur l'amour dans ce qu'il a de plus pur, son abandon à l'autre et l'intense souffrance que procure la passion absolue, souvent soeur de lait de la jalousie, de la prison de la possession et des pulsions incontrôlables. Elle électrise littéralement l'écran. A la fois belle et volcanique, aussi tendre que garce. Un peu artiste, un peu perdue. Noé filme le désir et l'amour dans un même élan, tout en faisant paradoxalement passer son public dans ce qu'il y a de plus beau et de plus glauque. Dans une même volonté d'enflammer le ciel et de sonder la fange. Noé frôle le sans faute dans la vérité des sentiments qu'il veut filmer et transmettre. Il tutoie la grâce d'une caresse, la beauté d'une étreinte, la fragilité d'un sein qui se dresse ou la passion des lèvres qui se frôlent dans un baiser fiévreux qui se cherche. Mais il tutoie aussi la plongée dans certains milieux interlopes classiques dans ses oeuvres qui nuisent quelque peu à un troisième acte qui tranche avec ce qui a été vu et développé les minutes précédentes.


Car Noé semble étendre sa réflexion à toute une génération perdue en quête d'inédit, d'expériences, d'explorations et de sentiments inconnus, au risque de détruire ce qu'il y a de plus fragile. Il dérape par instants et sort de la route, tout comme le couple qu'il filme, avant de renouer avec la grâce des premiers instants de deux personnes qui se plaisent, qui se désirent et qui s'aiment. Des premières étreintes au goût de promesses gravées dans le marbre. Que rien ne pourra s'immiscer entre ces deux êtres, pas même une blonde adolescente pimpante qui enflamme fantasmes et désirs jusqu'à ce que l'amour se consume à trois, union que la caméra exalte de la plus tactile des manières.


Il n'y aura que quelques pères-la-vertu ou dames patronnesses pour sentir le parfum du scandale et agiter les missels en hurlant "pornographie" à chaque fin de phrases. Certainement ont-ils quitté la salle après la première scène du film. Car Love, c'est avant tout un homme qui hurle son amour à quelqu'un qui n'est pas là. Un homme qui transige avec Dieu, qui demande pardon et qui donnerait tout pour revoir la femme que la vie a éloigné de ses bras. Car les pires disputes, les plus gros dérapages, les cris, les mots qu'on ne pense jamais mais qu'on hurle à la face de l'autre pour lui faire mal, tout cela n'effacera jamais les plus beaux moments d'une vie. Le sentiment d'absolu qu'on a éprouvé un jour, la sensation d'une main qui caresse notre peau meurtrie, le doux visage de l'être aimé sur son épaule, un regard sur une photo éternelle, le goût d'un baiser.


Behind_the_Mask, surpris que le vide de son coeur recommence à battre.

Behind_the_Mask
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le 6 août 2015

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