Cinéma de l'absurde

Inspiré du roman de Dino Buzzati, "Le désert des Tartares" (1940), Luka s'intéresse à retranscrire le microcosme pesant, bizarre et vain du Fort Kairos, au sein duquel des soldats s'entraînent et ont pour mission de protéger le fort contre "le nord", sorte d'ennemi invisible. Intemporel sans être absolument futuriste ou tomber dans la science-fiction, l'utilisation du noir et blanc arrive plutôt bien à nous faire entrer dans son monde. Un procédé qui lui donne également une grande valeur esthétique, que ce soit à travers les plans resserrés sur les visages des personnages - le visage aux traits fins de Luka -, ou à travers les plans sur la nature sauvage et les paysages rocailleux de basse montage.

Les personnages sont rares mais tous bien construits, tout en entretenant une part de mystère (Luka, le sous-lieutenant, le général, joué par Géraldine Chaplin, pour en nommer les principaux). La bande sonore, en toile de fond, est habilement maniée: elle nous plonge dans le tempo militaire, au rythme haché, répétitif, et est également propice à des scènes chorégraphiques d'une grande beauté artistique.

Le film semble plus qu'"inspiré" par le désert des Tartares: il reprend en fait les éléments les plus essentiels et le concept du livre, une quête de sens totalement vaine, représentée par des soldats obéissant à des règles absurdes, s'inventant dans "le nord" un ennemi pour ne pas avoir à s'affronter eux-mêmes. S'il relève clairement du genre art et essai, le film reste néanmoins accessible. La lenteur est adéquate avec le film, mais elle pèse un peu sur le ressenti global.

On soulignera la coopération cinématographique européenne entre Belgique, Arménie, Bulgarie, Pays-Bas et Italie.