Il est des réceptions critiques qui, par un consortium tacite, décident d’enterrer une œuvre en raison des difficultés inhérentes à sa réalisation et à son montage, en raison d’une divergence d’opinion à l’égard d’un artiste qu’on refuse de voir délaisser son Québec natal pour les États-Unis, en raison de son ambition d’affronter le récit biographique mythifié et mythologique, de s’essayer au romanesque dramatique. Ma Vie avec John F. Donovan fait un pied-de-nez aux bulles colorées qui constituaient l’une des caractéristiques du cinéma de Xavier Dolan pour se concentrer sur l’envers du décor. Aller voir au-delà de l’écran, derrière les paillettes. S’agriffer à la solitude d’un acteur qui, en vendant du rêve à des millions de spectateurs, semble s’être perdu en chemin. Si nous traversons les flashs des photographes, si nous dépassons les néons d’une boîte de nuit branchée, c’est dans des îlots de solitude que nous nous engouffrons, à l’instar de la chambre d’hôtel qui raccorde l’individu aux solitudes environnantes. L’hôtel comme somme de pièces et de portes, de solitudes aussi. Donovan recouvre là le sentiment d’appartenir à une communauté. Il y a la baignoire pleine de mousse, souvenir de l’enfance. Ou cette table placée au beau milieu de la cuisine d’un petit restaurant. Ces lieux isolés obsèdent et inspirent l’artiste qui, par l’intermédiaire de l’écriture épistolaire, trouve le moyen de se dire, de s’inventer pour mieux s’explorer.


Car l’essentiel ne réside pas dans la véracité d’une correspondance entre John et Rupert, davantage dans la relation de synchronicité qui se construit entre deux personnages unis par les pouvoirs de la fiction à exprimer la souffrance. En multipliant les focalisations et les ellipses, en suturant des lieux et des âges, Xavier Dolan change son montage en art du rapiéçage nostalgique où le souvenir ainsi revivifié explose en bouche et dans l’esprit de l’auditrice. C’est également l’occasion pour le cinéaste de se dire, de projeter ses fantasmes, ses espoirs et ses angoisses comme au carrefour d’une pluralité de chemins tant spatiaux que temporels. Dès lors, le film épouse la structure muable et amovible de la restitution d’une mémoire : tout repose sur l’acte de transmission, sur la puissance figurative de la parole enregistrée sur cassette avec ses mots et les images qu’elles façonnent. Œuvre sur le langage verbal et cinématographique – ou la capacité imagogène de la parole à engendrer de la fiction – Ma Vie avec John F. Donovan embrasse l’humain dans sa polyphonie et sa complexité fondamentales. Ce faisant, il touche au cœur. Et bouleverse à jamais.

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le 18 oct. 2019

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