Les êtres inachevés.
Le road-movie, un genre en soi, est la plupart du temps un argument d’écriture facilitant la dynamique et la dramaturgie : un voyage initiatique (Alice dans les villes), une fuite en avant (True...
le 29 nov. 2016
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Le road-movie est un mythe américain à lui tout seul. Un mythe porté à l'écran depuis bien longtemps par le western à travers le thème de la conquête de l'ouest et le périple de ces pionniers jusqu'à leur terre promise. Le road-movie devient toutefois un genre à part entière durant les sixties, influencé notamment par l'avènement de la contre-culture. Easy Rider en devient vite le porte-étendard, posant des fondamentaux qui seront maintes fois repris par la suite, que ce soit au niveau de la caractérisation des personnages, du cadre, de la simplicité de l'intrigue et de l'ambiance très "sex, drugs and rock n' roll". Mais on retiendra surtout une certaine idée de la liberté qui se retrouve parfaitement résumée par la célèbre chanson "Me and Bobby McGee" : "Freedom’s just another name for nothing left to lose". Des paroles que l'on entend fort logiquement dans Two-Lane Blacktop et qui semblent irradier le film en profondeur, se propageant dans toutes les scènes, tous les plans et tous les personnages. C'est comme si Monte Hellman ne voulait pas faire une simple resucée du film de Dennis Hopper mais, ambitionnait plutôt, à réaliser le road-movie ultime, sec et mélancolique, bien loin finalement des standards hollywoodiens.
Pourtant, dès les premières images, l'iconographie semble se mettre en place : les bolides attendent, impatiemment, sur la ligne de départ... puis la course débute dans une vraie frénésie ; le vrombissement des moteurs et les crissements de pneus envahissent l'espace, les véhicules prennent d'assaut le bitume en direction d'un ailleurs immense et sauvage... Cependant, du road-movie hollywoodien, nous n'en goûterons pas davantage ! Hellman ne cherche pas à revisiter le thème de la conquête de l'ouest ou à prolonger l'ambiance d'un Easy Rider, ce qui peut expliquer l'échec commercial du film, mais lorgne plutôt du coté du cinéma Européen, Nouvelle Vague et Antonioni, pour parler d'une société américaine, perdue et en proie au doute, après la désastr.se guerre du Vietnam.
Two-Lane Blacktop peut être vu comme l'anti-film hollywoodien par excellence. Loin des personnages héroïques, ou attrayants, en voguent à Hollywood, ceux de Hellman sont léthargiques et, finalement, sans personnalités. D'ailleurs, ils n'ont pas de nom propre et sont réduits à leur simple fonction : le conducteur, le mécanicien, la fille... Ils n'ont pas de réelle consistance, pas de passé et encore moins d'avenir, et ne vivent que pour le présent, sans but précis. On comprend facilement que de tels êtres ne peuvent entreprendre une quête glorieuse semblable à L'Odyssée d'Homère. Ainsi, leur histoire sera dénuée de finalité et d’intérêt dramatique : ils s'élancent vers l'est, forcément, mais n'atteindront sans doute jamais leur destination. Même l’intérêt des courses semble détourné puisque le vainqueur n'est jamais connu ! D'ailleurs, les vainqueurs existent-ils encore dans l'Amérique décrite par Hellman ? On peut fortement en douter puisque, tout au long de leur périple, nos "héros" ne vont croiser que des personnages fades, effacés ou d'une grande banalité. Cette vision d'une société léthargique, plongée durablement dans la torpeur, sera exaltée par le rythme indolent imposé par le cinéaste et par la vision de ces lieux neutres, vides...sans vie.
Seulement, si ce refus de tout processus dramatique entraîne quelques longueurs, et constitue un frein à l'adhésion à l'histoire, le film n'en demeure pas moins passionnant à suivre. Car à travers le parcours sans but et désillusionné de nos personnages, se dessine le double visage d'une Amérique au moment du Vietnam. On va ainsi avoir une perception des choses qui va être différente suivant l'âge ou la classe sociale. La jeunesse semble perdue, pessimiste, vivant au jour le jour et traînant continuellement un profond mal être. On roule simplement et uniquement pour rouler ! Seul le présent compte, le reste n'a pas grand intérêt, ni les courses, ni les victoires... ni même les histoires d'amour ! Leur Chevrolet 55 ne paie pas de mine mais elle a du cœur et a le mérite de l'authenticité. Autant de qualités que l'on ne retrouve pas chez l'ancienne génération, incarnée par le personnage de GTO et qui symbolise l'insouciance, la futilité et l'illusoire. À travers cette lecture de l'Amérique, Hellman touche à l'essence même du road-movie, avec la vision de cette jeunesse condamnée à porter continuellement le poids de la mélancolie, jusqu'à consumer sa propre existence sur le bitume.
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Créée
le 16 août 2023
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