L’exaltation du pouvoir face aux forces supérieures.

A-t-on un jour mieux peint le portrait d’un homme rongé par ses remords que dans la pièce de Shakespeare ici adaptée brillamment à l’écran par la caméra habile et brutale d’Orson Welles.


Le fait que les dialogues soient un des grands points forts du film, n’est une surprise pour personne. Orson Welles reprend directement les mots de Shakespeare, en donnant à ses personnages un accent écossais assez violent, il va jouer avec la sonorité des vers pour faire passer les émotions de ses personnages. Le texte du légendaire dramaturge anglais est magnifique, c’est poétique et plein de réflexions philosophiques, sur la place de l’homme, le poids du destin…


Comme le personnage de Macbeth qui devant la mort continue de se voir toujours invincible, persuader de pouvoir survivre à tous et à tout, il entrera dans une folie meurtrière lors de son dernier combat. Combat qui lui sera fatal comme l’avaient prédit les sorcières.


Orson Welles semble être fait pour incarner Macbeth, non content d’être un des plus grands réalisateurs, il est également un très bon acteur. Son évolution passe par son regard qui change tout au long du film, ses remords, ses remises en question, ses doutes, sa détresse, tous ces éléments qui parviennent à rendre ce personnage attachant malgré tous ces crimes. Beaucoup relèvent le caractère grotesque de sa couronne qui rappelle la statue de la Liberté, ce diadème symbolise l’orgueil et l’assurance du personnage.


Le film est techniquement irréprochable, Orson Welles emprunte les codes du cinéma expressionniste pour donner une atmosphère particulière à son film. On ne compte pas les plans séquences qui sont très nombreux dont un impressionnant durant plus de dix minutes. Les images sont parfaitement composées, le film est un exemple sur ce point, il y a beaucoup de symbolique dans les plans, un découpage du cadre exemplaire et une gestion des lumières somptueuse. Une qualité technique d’autant plus impressionnante quand on sait que le film a été tourné en 28 jours.


Au passage, splendide plan séquence lors de la scène où après avoir subi l’illusion pendant le repas, il partira s’adresser aux sorcières. La mise en scène est renversante avec les éclairs sonnant à la fin des vers et le paysage s’éclaircissant laissant apparaitre des éléments propres aux sorcières. Le plan se coupe et on passe sur une plongée vers le personnage d’Orson Welles, oppressé, seul illuminé au centre d’un cercle noir, malgré son statut de roi, les forces mystiques continuent de lui être supérieur. Ce plan est très intéressant car Orson Welles y utilise une focale de plus en plus courte faisant se déformer le visage de Macbeth, celui-ci ressemble alors de plus en plus à la poupée d’enchantement sculptée par les sorcières au début du film.


Le décor est simple et volontairement irréel, le château de Macbeth n’est pas du tout accueillant, le cadre est froid et austère, chaque fenêtre chaque rebord semblent tranchant, certains barreaux peuvent rappeler les fourches des sorcières visibles à plusieurs moments du film.


Avec Macbeth, Orson Welles signe sa première adaptation d’une pièce de Shakespeare au cinéma, il incarne un personnage dont l’âme est rongée par les remords et la couronne maudite. Le réalisateur s’inspire de l’expressionisme allemand pour faire ressortir le caractère surnaturel de l’œuvre et son caractère brumeux. Avec ce film techniquement irréprochable et émotionnellement fort le spectateur est emporté dans cette tragédie parfaitement écrite par Shakespeare. Orson Welles prend des libertés sur l’œuvre mais sait conserver son esprit, il ne se contente pas de porter l’œuvre sur grand écran mais l’adapte pour donner de la force aux images et placer sa symbolique.


Comme c’est le cas du personnage du prêtre qui représente Dieu et participera à la chute de Macbeth avec l’armée anglaise. Ce personnage n’existe pas chez Shakespeare


Dans son film Orson Welles peint un « héros » qui tente de lutter contre les forces supérieures, en commençant par le destin, il s’oppose à toute forme de mythologie bien qu’il continue à y croire, c’est un portrait complexe qui fait la force de la pièce et ici du film. Lady Macbeth est toute aussi passionnante, de plus elle apporte ce symbole fort de la femme complice du crime et même peut être davantage responsable que le mari. Dans certains plans, elle est elle-même montrée comme une sorcière, manipulatrice et vicieuse. On suit l’évolution de ce couple maudit dont l’issue semble certaine, c’est le déroulement qui nous passionne, la progression des personnages qui sombrent peu à peu vers leurs fins. Orson Welles peint cette pièce mythique en instaurant ce qu’on pourrait définir comme un onirisme sombre, de par l’importance des sorcières, le film peut s’apparenter à une messe noire, les deux membres du couple Macbeth sont alors des tyrans victimes de forces supérieurs qui les dépassent. La fatalité et le poids du destin ne cessent d’écraser ce couple, le film provoque pitié et terreur, il est brutal et poétique, technique et baroque. La force dramatique est énorme, Orson Welles sait parfaitement comment instaurer une tension sans être ridicule, il parvient à nous attacher à des personnages pleins de défauts et dont le meurtre fait partie du quotidien. On a de l’empathie pour des personnages haïssables et c’est là la force de ces tragédies, lors de la chute on ne s’intéresse plus aux actes du personnage mais on est pris avec eux dans la terreur qui les envahit, on se sent transporté à l’intérieur de leur esprit et on éprouve leurs tourments.


On peut observer que le film s’ouvre sur un plan des sorcières et se finit également sur ces personnages, ce sont elles qui dirigent l’action, ce sont les forces supérieures qui amèneront le couple Macbeth à la folie et à la destruction.



Tomorrow, and tomorrow, and tomorrow, creeps in this petty pace from day to day; to the last syllable of recorded time; and all our yesterdays have lighted fools the way to dusty death. Out, out, brief candle! Life's but a walking shadow; a poor player that struts and frets his hour upon the stage, and then is heard no more. It is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing.


nicolas68
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Ma collection de films en Blu-ray

Créée

le 5 juin 2018

Critique lue 404 fois

12 j'aime

11 commentaires

Nicolas68

Écrit par

Critique lue 404 fois

12
11

D'autres avis sur Macbeth

Macbeth
Gand-Alf
8

Tempête sous une tête couronnée.

En bisbille avec Hollywood, l'acteur / cinéaste Orson Welles décide de partir tourner son adaptation du "Macbeth" de William Shakespeare dans son coin, pour le compte de Republic Pictures...

le 27 nov. 2014

37 j'aime

4

Macbeth
blig
9

William, j'expire

Quand trois sorcières lui annoncent qu'il sera un jour roi d’Écosse mais sans héritier et qu'en revanche son compagnon de fortunes, et rapidement d'infortunes, Banquo enfantera une lignée de sang...

Par

le 3 oct. 2014

27 j'aime

7

Macbeth
Morrinson
8

Macbeth, de Orson Welles (1948) à Akira Kurosawa (1957)

[Portraits croisés, d'où une critique dupliquée chez Kurosawa pour ces doux parfums japonais : lien.] Des contrées reculées de l'Écosse aux châteaux ténébreux du Japon, du mal qui ronge à l'erreur...

le 7 déc. 2015

21 j'aime

13

Du même critique

Barry Lyndon
nicolas68
10

Le déclin d’un homme prisonnier de ses mensonges.

[Je tiens à préciser que cette critique contient de nombreux spoilers qui ne seront pas cachés.] Avant de démarrer cette critique, je vous joins un célèbre morceau de la BO de Barry Lyndon afin de...

le 14 oct. 2018

26 j'aime

13

Star Wars - Les Derniers Jedi
nicolas68
6

La destruction d’une Saga ?

Ah quelle déception et pourtant je voulais vraiment aimer ce star wars d’autant plus que j’avais bien aimé le VII et que son travail d’introduction et de transition ouvrait énormément de portes pour...

le 17 déc. 2017

26 j'aime

5

Jules et Jim
nicolas68
8

Portrait de la Femme selon François Truffaut

Jules et Jim c’est l’adaptation du roman de Henri-Pierre Roché, un roman qui fut son premier et qui a été écrit alors que l’auteur avait plus de 70 ans, c’est un roman autobiographique. Le défi pour...

le 28 oct. 2018

24 j'aime

10