Tapit dans l'ombre, le roi Miller attend. Impassible, discret, il prépare son attaque depuis maintenant des années, planifie son action au millimètre, pour que rien ne puisse lui échapper au moment venu. Pour qu'au moment venu, il puisse tout détruire sur son passage. Pour qu'au moment venu, il reprenne enfin la place qui lui revient de droit : le maître incontesté d'un cinéma d'action violent, spectaculaire et sans concession, un cinéma dont il fut le créateur lorsque qu'il conçut le Mad Max premier du nom en 1979, OVNI filmique à l'époque tant il semblait en avance sur son temps, tant de par son montage que par ses cascades follement dangereuses.


Ainsi naquit la légende de George Miller avec le personnage de Max, alors campé par un Mel Gibson à l'interprétation fiévreuse, et son bolide l'Interceptor, devenu aussi légendaire que son pilote. La claque fut totale. La mise en scène audacieuse ainsi que le montage hyperactif de Miller le fit entrer directement au firmament des grands réalisateurs, ceux avec une vision, une obsession même. Les légendes accompagnant le tournage, tels que l'utilisation de tauliers condamnés à la peine capitale pour les cascades les plus dangereuses, continue d'alimenter la légende d'un film fou, et surtout finit d'entériner l'image d'un George Miller visionnaire, voir dangereux, mais surtout obsédé par des visions d'apocalypses à la beauté monstrueuse. Car c'est en ces termes que nous pouvons définir cette univers et ce film, comme d'un mythe du cinéma moderne, tant les proportions de son impact sont incroyables.


Cette vision que transporte Miller au fond de lui depuis ses débuts, cette folie latente, cette envie d'un spectacle ultime, elle explose finalement sur son dernier chef d'oeuvre : "Mad Max Fury Road". Tout les ingrédients qui composaient les premiers Mad Max sont ici poussés à leur paroxysme. Tout n'est que démesure. Tout ne demande qu'a jaillir hors du cadre, cet effet étant accentué par la quantité astronomique de détails qui fourmillent à l'écran : ce monde existe depuis longtemps, il a du vécu et ça se sent. Chaque personnages semblent avoir un passif, ce qui permet une immersion extrêmement ludique du spectateur, tant il peut s'amuser à retracer l'historique de chaque protagoniste grâce aux miettes de pains laissées par le réalisateur. Je dis bien miettes de pains car il faut garder à l'esprit que l'un des reproches que l'on peut faire au film serait sont histoire à première vue simpliste, qui consiste en une grosse course poursuite de deux heures. Et je ne peux aller que dans ce sens, ce film est une course poursuite de deux heures. Mais en observant la bête de plus près, l'on se rend compte que ce choix est un choix pleinement assumé. De par ses cadres, son montage et même sa musique, George Miller veut surtout rendre hommage à un genre de cinéma particulier : l'expressionnisme allemand. Dans ce cinéma muet, tout n'était que grandeur et décadence, exagérations grotesques semblant sortir d'un esprit malade. En effet, le clin d'oeil est plus qu'appuyé notamment lorsque les plans de présentation de la citadelle d'Immortan Joe, grandes murailles rappelant des termitières dans lesquels fourmillent des milliers de cancéreux au teint cadavérique, croulant sous le surnombre tout comme la foule informe grouillant au sol sous l'égide d'un faux dieu symbolisant ici (en extrapolant) l'esclavagisme dont nous sommes victime à travers le capitalisme ainsi que l'impact des grandes marques de consommation sur nos modes de vie (à travers aussi les marques de sodas glorifiées dans un futur post-apocalyptique où nous tentons de nous raccrocher aux éléments les plus "mémorables" de notre société disparue) faisant directement référence au chef d'oeuvre de Fritz Lang "Metropolis", emblème de l'expressionnisme allemand qui aborde peu ou prou les mêmes thématiques. L'oeuvre prend alors une dimension satyrique envers notre société actuelle, qui lui fait prendre plus de profondeur qu'au premier abord.


Vous l'aurez compris, l'ambition de Fury Road est avant tout d'offrir un spectacle visuel, symbolique et novateur. Dans ce sens, il a tout bon, tant les scènes d'actions, instants de bravoure tout bonnement impressionnants et magnifiques (cf. la tempête de sable, poursuite dans le canyon ou bien la confrontation finale) révolutionnent le cinéma d'action moderne grâce au retour d'effets spéciaux pratiques pour les cascades, dont la technicité est tellement impeccable qu'il est difficile de voir la limite entre effets spéciaux "en dur" et rajouts numériques. Rajouts numériques instantanément ringardisés au passage, tant la mise en scène prend toute son ampleur via l'utilisation de ces effets pratiques. Le montage est, quand à lui, dans la même veine que celui des précédents Mad Max de Miller, ce qui confirme le fait qu'il était vraiment en avance sur son temps, tant les effets utilisés (accélérations d'images notamment) sont encore d'une efficacité redoutable dans le propos, et surtout, dans le paysage audiovisuel actuel.


Notons enfin la musique composée par Tom Holkenborg, aka Junkie XL, qui travailla dès le début de la production avec le cinéaste afin de coller au plus près possible à sa vision. La musique est très inspiré par le style de musiques qui accompagnaient les films muets, ainsi que les grande fresque composée par les pionniers du genre : Elmer Bernstein et Bernard Herrmann en tête. Ainsi, les thèmes et mélodies sont emphatiques, et les envolées sont extrêmement romantiques (cf. les morceaux Immortan, Many Mothers). La musique joue un rôle important dans l'oeuvre, dans le sens ou George Miller voyait au départ son film comme une grande fresque muette tournée en noir et blanc. Les dialogues sont assez rares dans le produit final, et les sentiments des personnages sont principalement mis en exergue par la musique, premier rôle de celle-ci à l'époque du muet. Mais quand il s'agit de donner dans l'action pure, Holkenborg donne tout : ses morceaux sont violents, cinglés, tonitruant, amplifiés par l'utilisation omniprésente de percussions, éléments principaux de la partition, à tel point qu'elles en viennent à être présente à certains moments diégétiquement dans le film, tout comme la guitare électrique, d'une efficacité redoutable et saturée au possible, représentée à l'écran comme un personnage à part entière au travers du déjà culte Doof Warrior (cf. les morceaux Blood Bag, Brothers in Arms, Chapter Doof).


George Miller à bel et bien repris son trône : son oeuvre sans concession et jusqu'au boutiste, visuellement riche et sans précédent, révolutionne le cinéma d'action moderne en remettant au goût de jour des techniques ayant fait leurs preuves au commencement du cinéma, et place ainsi instantanément "Mad Max Fury Road" comme une oeuvre culte, à travers la renaissance d'un grand style cinématographique disparu depuis trop longtemps. Alors ? C'est qui le papa ?

DomCobb27
9
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le 3 mai 2017

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DomCobb27

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