Park Chan-wook est un des plus grands cinéastes de sa génération, et un des rares metteurs en scène sud coréen à avoir une reconnaissance internationale grâce notamment à son tryptique sur la vengeance avec en son sein le chef d'oeuvre incontesté, Old Boy. Désormais, lorsqu'un de ses films sort en salles, il y a une vraie attente autour de celui-ci et il attire un public varié tout en connaissant un succès modeste par rapport aux autres productions du genre. Avec son dernier film, le réalisateur crée encore plus de curiosité. S'attaquant pour la première fois au thriller érotique, il promet un film fou et sans limites qui devrait s'imposer comme un gros morceau de cinéma. Et comme souvent avec le cinéaste on sera totalement pris à revers dans nos attentes par une démarche audacieuse aussi déstabilisante que fascinante.


Librement inspiré du roman Fingersmith de Sarah Waters, le film de Park Chan-wook va au delà de l'intrigue intime de l'oeuvre de Waters pour venir exposer la situation entre deux pays qui s'alimentent tout en se rejetant ainsi que la difficulté d'une époque et d'une société où la censure est maîtresse et les libertés limitées. Servant de toile de fond passionnant aux parcours des trois personnages principaux, cette opposition entre la Corée et le Japon va amuser le réalisateur au point qu'il pioche dans les deux styles cinématographique pour alimenter son histoire mélangeant habilement l'hyper-réalisme coréen pour un thriller implacable au baroque japonais pour la délicatesse de l'histoire d'amour. Il va même jusqu'à puiser dans le Pinku eiga dit "Roman porno", un sous genre de l'érotisme japonais pour venir traiter de la sexualité interdite de l'époque. Ici le sexe est mystifié, traité comme un élément presque surnaturel par les personnages qui trouve en lui quelque chose d'aussi abject que fascinant. Ensuite il serait criminel de dévoiler les tenants et aboutissants de l'intrigue mais ici le cinéaste prend un malin plaisir à jouer avec le spectateur pour venir constamment le déstabiliser avec le déroulement du récit. Brillamment découpé en trois actes, le tout est d'une précision et d'une maîtrise qui laisse pantois. Des personnages à l'univers dans lequel ils évoluent, tout est d'un soucis du détail imparable et tout paraît authentique. La relation amoureuse qui se forme entre Mademoiselle et sa servante est d'une délicatesse infinie et elle parait totalement convaincante car écrite avec finesse et subtilité. Même si certaines mécaniques peuvent paraître cliché, le film est d'une rare intelligence pour venir la justifier dans les petits détails comme l'humour savoureux entre les deux personnages plutôt que dans les éléments les plus évidents ou qui peuvent sembler forcés.


On se retrouve face à une véritable émancipation de la femme face à une société patriarcale qui veut leurs dicté leurs désirs. C'est une libération des femmes par leurs propres corps, leurs sexualités étant ici libérez des hommes. Hommes au tempérament abjectes et autoritaires qui n'ont soif que de soumission et de fantasmes érigeant la femme en objet sculpté par leurs désirs, à la fois être de pudeur qui tient du fruit défendu mais aussi en opposition des figures hyper-sexuées. Et même si le film s'encre dans une époque qui appartient au passé, le propos est encore d'actualité d'où l'importance de son message. Surtout que le tout est sublimé par la mise en scène vertigineuse de Park Chan-wook, qui a travers une sobriété impeccable cache un sens du cadrage qui tient du génie. Les plans sont parfaits, il suffit de voir comment il met en scène les scènes de sexes pour s'en convaincre. Invitant le spectateur au sein du rapport, loin de la froideur didactique que ce genre de scènes font généralement véhiculer, on ressent la passion des personnages. Le rythme est pensé de façon magistrale et soutenu par un montage qui déstabilise par sa façon de nous montrer des choses capitales sans trop attirer notre attention dessus, pour que l'on soit surpris quand ces éléments reviennent être utilisés. De formidables set-up/pay-off au service d'un travail de composition remarquable qui laisse admiratif. Park Chan-wook n'ayant jamais été aussi précis dans sa manière de raconter son récit mais n'ayant jamais aussi bénéficié d'une réalisation technique aussi abouti avec une photographie somptueuse mais aussi des compositions musicales inspirées qui accompagne à merveille le lyrisme de l'oeuvre. Un savoir-faire d'exception qui tire aussi le meilleur de son talentueux casting, avec Kim Min-hee et Kim Tae-ri en tête, toute deux très attachantes dans leurs rôles d'amantes en quête de liberté.


Mademoiselle est un grand film, probablement le plus abouti de Park Chan-wook. Une oeuvre qui tire le meilleur de ses inspirations pour les élever au rang d'art. Rien n'est laissé au hasard et le cinéaste offre un jeu de manipulation jubilatoire et passionnant qui trouve dans son propos une triste vérité sur le monde tel qu'il est encore aujourd'hui. Un film qui aurait pu facilement céder à la froideur picturale au service d'un travail d'esthète calculateur mais il n'en est rien, grâce à une intelligence de tout les instants, on reste devant une oeuvre généreuse qui se permet d'être souvent hilarante mais surtout totalement authentique et sincère. Que ce soit dans la finesse de son écriture, la précision de sa mise en scène et l'excellence de son casting, on ne peut rien reprocher à ce film qui fait de la perfection une norme. On est constamment surpris dans les directions qu'il nous emmène et on reste bouche bée devant les claques successives qu'il nous octroie. Le cinéma coréen reste le maître incontesté de cette année cinématographique, venant encore une fois prouvé son audace face à la fadeur de plus en plus systématique d'Hollywood, et il vient clairement livré ici son chef d'oeuvre, le sommet de la carrière de Park Chan-wook.

Frédéric_Perrinot
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le 12 nov. 2016

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