Magical Mystery Tour, The Beatles, Grande-Bretagne, 1967, 55 min

Cette troisième production des Beatles, pensée avant tout en programme télé, et diffusée de prime abord sur la BBC1, le 26 décembre 1967, a également eu les honneurs du grand écran lors de festivals. Il est ainsi possible de la considérer comme un film. Premier échec, à la fois critique et public, « Magical Mystery Tour » constitue une expérience bizarre, une comédie expérimentale déconstruite, sans réelle linéarité, autre que le tour en car, qui sert de fil conducteur entre des séquences psychédéliques complètement perchées.


Tout le projet est né dans l’esprit de Paul McCartney et de son pote Mal, alors en safari au Kenya (true story). Si les crédits accordent la réalisation et l’écriture aux Beatles, George Harrison et John Lennon étaient très peu impliqués, et apparaissent d’ailleurs rarement à l’écran. De plus, la plupart des scènes n’étaient pas scénarisées et furent improvisées. Seules McCartney et Ringo jouent à fond de l’irréalisme de l’ensemble, ce qui crée une cassure dans la cohésion du groupe, clé de voûte de leurs deux précédents films.


Avant tout musical, le métrage se situe bien plus dans une démarche clipesque, avec ses moments d’anthologies : le « Fool on the Hill » de McCartney, le « I am the Walrus » de Lennon ou bien encore le « Blue Jay Way » d’Harrison. L’expérience ressemble ainsi plus à une sorte de sketch télévisé, qu’un film à proprement parler. Cependant, l’énergie déployée dans le n’importe quoi le plus total lui donne un cachet particulier, qui l’inscrit dans la logique des œuvres expérimentales de la fin des 60’s. Le tour de force réside dans le fait d’avoir réussi à faire passer ça à une heure de grande écoute, sur l’une des chaines principales de Grande-Bretagne, le lendemain de Noël.


Bien loin d’une quelconque démarche consensuelle, les Beatles poussent ici le concept de la comédie loufoque, qui avait marqué leurs précédents films, dans des retranchements inattendus, peut-être même involontaires. Le tout se retrouve dans un marasme non sensé, où toutes les personnes impliquées semblent s’en donner à cœur joie, mais sans direction, sans propos, sans structure et sans raison. “Magical Mystery Tour” c’est un trip de Paul McCartney qui a mal tourné, un aperçu de ce qui se passe dans sa tête, à ce moment de sa carrière. Autant dire que c’est riche, fun et bordélique, mais coloré et positif. Maintenant, y chercher une explication et une logique, c’est une autre histoire.


John Lennon dira de ce film que ce fût le “home movie” le plus cher jamais réalisé. Et c’est exactement ça, tellement ça ressemble à n’importe quelle expérience de réalisation amateur, munie d’un budget et d’une notoriété conséquente. Le ressenti est donc mitigé, surtout avec plus de cinquante ans de recul, puisque l’échec s’avère facilement compréhensible. Ce métrage demeure typique de l’expérimentation audiovisuelle qui s’égare, bien loin du produit calibré pour la télévision, à destination d’un public aussi varié que celui qui écoutait alors les Beatles.


Ce point permet ainsi une autre lecture, pour mieux comprendre l’influence des Beatles en 1967 et de leur toute-puissance mercatique et artistique. Il demeure difficile d’expliquer comment une chaine de télévision nationale a pu accepter la diffusion d’un film totalement absurde, incompréhensible et qui résulte certainement d’une prise de drogue. En ce sens, beaucoup de visuels s’avèrent clairement pensés pour une audience sous l’influence de psychotropes. Ce n’est pas là de l’avant-gardisme, puisque le film s’intègre dans une tradition de l’expérimental de l’époque. Il n’apparaît pas non plus à contretemps, au contraire même, c’est typiquement une œuvre de son temps, mais à destination d’une audience alternative.


“Magical Mystery Tour” reflète également les nouvelles orientations prises musicalement par les Beatles, et leur envie d’expérimenter dans leur art afin de ne pas tourner en rond. Il se perçoit dans cette réalisation comme un besoin de se libérer des codes attendus par l’establishment de l’entertainment, mais aussi une envie de surprendre un public susceptible de se fatiguer d’un groupe qui truste la tête des charts depuis quatre ans. Cela s’apparente à un véritable cri du cœur, de la part de jeunes musiciens désireux de laisser un impact au-delà d’une simple attraction pop éphémère au potentiel multimillionnaire. Ce sont avant tout des créateurs, et leur univers est loin de se borner uniquement au musical, comme le démontreront différents projets ultérieurs à cette tentative de présenter au monde ce que représentent vraiment les Beatles.


C’est donc à la fois une œuvre géniale, qui expérimente tout un tas de trucs, avec plus ou moins de réussite, sans perdre son humeur sans cesse généreuse. L’inconscience totale envers le public qui va recevoir ce truc permet de palper l’échec de ce manifeste psychédélique foutraque, à l’humour absurde extrapolé à l’extrême. C’est aussi cela qui rend l’aventure absolument unique, car contrairement à de nombreux projets expérimentaux de l’époque, il n’est pas tombé dans l’oubli, uniquement parce que les types présents derrière sont les Beatles. Sinon il est très certain qu’il serait également resté prendre la poussière, pour ne procurer du bonheur qu’à quelques passionnés.


En cela, ce qui entoure le métrage est tout aussi passionnant que ce qu’il renferme, pour le rendu qu’il nous offre de son époque. Mais aussi à quel point l’expression artistique ne peut rester enfermée très longtemps dans une industrie aux logiques répétitives, sans finir par mourir. Et à l’image de John, Paul, George et Ringo, “Magical Mystery Tour” démontre cette nécessité de liberté revendiqué, en repoussant sans cesse les limites de la créativité pour mieux servir leur art. Ça ne peut pas s’avérer toujours payant, et après un quasi-sans-faute il est vrai que ce délire visuel se rapproche d’une anomalie. Du moins dans sa forme, avec sa qualité de film amateur, tourné à l’arrache et à l’impro, ce qui pour le groupe le plus populaire de son temps, pu en effet faire tache.


N’en demeure pas moins, une expérience inédite et unique, qui donne une nouvelle image et de nouvelles perspectives aux Beatles. Elle met en lumière leur refus du conformisme, qui sera de plus en plus marqué dans les deux ans d’existence qui restent à la formation. Même si ce joyeux bordel part dans tous les sens et qu’il est parfois difficile d’y comprendre quelque chose, ils touchent avec “Magical Mystery Tour” un point de non-retour expérimental. En résulte un paroxysme arty, irrévérencieux et transcendant, venu témoigner de la folie créatrice qui émane de ces quatre gars de Liverpool.


-Stork_

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le 31 janv. 2022

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