Makala veut dire charbon en swahili, comme celui que Kabwita, jeune villageois pauvre de Walemba, au sud de la République démocratique du Congo, fabrique puis va vendre ensuite dans les rues grouillantes de Kolwezi, la grande ville un peu plus loin, à plus de cinquante kilomètres. Ce charbon qui vaut de l’or pour Kabwita, ce charbon qui lui permettra, sans doute et avec l’aide de Dieu, de construire la maison, faite de torchis et de tôles, dont il rêve pour sa femme et ses enfants. Kabwita a ce rêve, et ce rêve a un prix, celui du travail acharné (abattre un grand arbre avec une petite hache, construire un four avec de la terre séchée) et d’un effort douloureux, harassant, presque au-delà de l’entendement.


Car pour aller vendre ses sacs de charbon à Kolwezi, Kabwita doit les transporter sur son vélo de fortune, chargé et ployant sous une montagne de sacs qu’il doit pousser, inlassablement et malgré les dangers (ces camions et ces bus qui passent trop prêt, les voleurs, le racket, la fatigue et la dureté de la tâche). Il y a cette image alors de Kabwita qui reste en nous, de cet homme charriant ce vélo si lourd de charbon, de ce forçat solitaire pris dans les tourbillons de sable que les voitures soulèvent autour de lui. Et cette question aussi qui se pose, qui obsède, prégnante : qu’est-ce qui, au-delà du fait qu’il n’a pas d’autres choix pour survivre, anime et motive Kabwita ? D’où puise-t-il cette résistance, d’où rue ce courage qui semble le guider, le faire tenir debout, lui interdire l’échec ? Est-ce le rêve de cette maison, la promesse de lendemains plus doux, la volonté de Dieu peut-être ?


Emmanuel Gras est là, à ses côtés, qui le filme dans sa besogne et sa quête avec un infini respect, sans jamais le déifier, en faire un héraut de la misère africaine. Il le filme, simplement. Il filme un homme aujourd’hui, au Congo, qui vit comme ça, sans grand-chose pour lui sinon cette farouche détermination oscillant entre force de caractère et résignation face à sa condition. Et peut-être aurait-on voulu en apprendre un peu plus sur Kabwita, apprendre d’où il vient, la vie de son village et sa vision de son pays, et peut-être aurait-on préféré qu’il se distingue davantage, davantage qu’une caméra qui le suit, lui et pas un autre, et de ces hommes croisés soudain sur ces pistes et qui, eux aussi, poussent leur vélo croulant sous les ballots.


Et à Kolwezi, Kabwita réalisera que la valeur de son travail n’a de mesure que celle qu’on veut bien lui prêter, et c’est souvent celle du pragmatisme, du marchandage, du tout ou rien. À son dénuement répond celui de ces travailleurs qui ne sont pas payés, de ces femmes sans le sou, de ces gens subissant la crise. Confronté à cette réalité, Kabwita se voit contraint de réduire le prix de son charbon, de minorer, de plier. D’abolir son rêve. Ne semble plus alors que lui rester la prière et la transe comme un réconfort, un soutien, une intention claire à son existence. Et hagard, parmi ses frères, dans ses psalmodies, rêve-t-il encore de cette maison entourée de manguiers et de palmiers ?


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mymp
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le 11 déc. 2017

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