Mal Viver
6.4
Mal Viver

Film de João Canijo (2023)

Hérite-t-on du mal-être de nos parents, ou en sommes-nous simplement le résultat ? Dans son nouveau film “Mal Viver”, João Canijo tente de nous immerger dans une relation mère-fille à la dérive. Bloquées dans un hôtel, que Canijo conçoit comme un “cul de sac”, les retrouvailles entre la fille et sa mère ainsi que les autres femmes de la famille font se délier les langues et les rancœurs refont surface.

Isolation par le Cadre

S'il y a bien quelque chose qui retient notre attention, ce sont les magnifiques plans et cadrages qui semblent renfermer nos personnages sur eux-mêmes et couper toutes communications avec les autres membres de la famille. Le premier repas que partagent les femmes est un exemple concret de l’impossibilité de cohabiter dans le même espace. On y devine une masse difforme où corps et voix se mélangent et s’entrechoquent, ne laissant aucune place à une quelconque individualité. Tout le monde parle, mais personne ne s’écoute. On comprend alors très rapidement que les personnages ne sont pas faits pour s’entendre et encore moins pour se comprendre. Un peu plus tard, Piedad (la mère) et Salomé (la fille) se retrouvent sur un canapé, la mère d’un côté, la fille de l’autre. Un travelling latéral ne semble pas autoriser les deux femmes à coexister dans le cadre simultanément. Et alors que Salomé semble enfin briser cette barrière imposée par le cadre, se couchant sur le genou de sa mère, c’est un autre élément, cette fois-ci scénaristique, qui empêche les corps des deux femmes d’enfin se rencontrer : Alma, le chien de la mère. Un chien qui semble avoir pris la place de Salomé dans le cœur de sa mère, prouvant sa capacité à pouvoir s’occuper d’une autre personne que d'elle-même. Au final, tout au long du film, les femmes semblent toutes séparées par ces barrières invisibles : une vitre, une porte ou encore une persienne, rappelant les barreaux d’une prison… Alors même que le cadre reste souvent très ouvert et pourrait laisser place à la rencontre et à la confrontation des femmes. Et quand bien même cette confrontation se passe; elle n’arrive jamais à son terme, à son dénouement, toujours obstruée par l’image ou le son, comme si le destin en avait décidé autrement.

Le silence s’éternise

Pas un mot, le silence total dans la pièce, les deux femmes se regardent ou se fuient, aucun mot n’est dit, comme si leurs pensées ne pouvaient prendre forme et s’avouer à l’autre. Ce procédé est souvent utilisé, et dépeint parfaitement la psychologie de la mère, qui n’ose plus parler à sa fille, ou peut-être ne le peut-elle tout simplement pas. La même chose est vraie pour Piedad et sa mère, la grand-mère de Salomé. Finalement, les relations mère-fille sont au centre de l’intrigue; le dialogue est impossible et le silence se fait de plus en plus pesant. Ces latences reviennent avec acharnement tout au long du film : appuyant encore et toujours sur l’incapacité de ces femmes de dire ce qu’elles ont sur le cœur. Peut-être ne peuvent-elles tout simplement pas mettre de mots sur ce qu’elles ressentent. Le spectateur se retrouve alors plongé dans le silence avec elles, avec une sensation d’être en trop dans la pièce. Une sensation de gêne qui augmente au fur et à mesure que le film avance et qui finalement provoque un certain inconfort chez le spectateur. Le silence s’éternise, tant est si bien qu’il finit par perdre de sa valeur au fil du temps. S’il reflète d’un côté ce caractère innommable de la pensée, de l’autre côté il en enlève toute la beauté et la surprise qu’une rupture de rythme puisse apporter au spectateur. Le spectateur finit par s’habituer à cette position confortable et l’effet provoqué s'amenuise. Le dénouement final en est sa dernière victime, une séquence qui s’étire dans le temps, dans un final que les spectateurs ont déjà deviné. Le temps paraît long, mais la surprise ne se fait pas. Le film se termine avec un goût amer en bouche; celui de ne pas avoir su surprendre le spectateur, le laissant face à ce qui semblait être depuis le début le dénouement le plus probable. Les fans de retournement de situation resteront sur leur faim; alors même que les dernières scènes entre la grand-mère et Salomé auraient pu, séparément de la scène qui les précède, insuffler un souffle de sentiments nouveaux.

Pagfire
5
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le 21 nov. 2023

Critique lue 17 fois

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