Une histoire qui n'a rien d'original en soi, scindée en deux parties distinctes, d'une part la connaissance et l'identification émotionnelle avec les personnages, puis la vengeance qui s'ensuit. Cependant on retrouve ici le talent de Tony Scott à transcender un script, à la base très simple mais qui transpire de sincérité de tous ses pores, et enrobé de toute la fibre stylistiquement romantique dont il est capable.


Une tonalité qui rappelle bien sûr Revenge, avec exactement le même schéma et la même ville (Mexico), en remplaçant seulement la femme par une petite fille. Bon évidement la relation n'est pas la même, et c'est là qu'il est temps de parler de Denzel Washington qui trouve ici l'un de ses meilleurs rôles, parfait en ex-tueur mélancolique et suicidaire qui laissera ouvrir son coeur comme un gros nounours à cet enfant. Une relation qui fonctionne vraiment bien, car là où d'autres auraient forcé sur le pathos, on atteint ici une certaine justesse, et qui justifiera d'autant plus la violence prochaine à tous azimuts du garde du corps. Un petit côté Léon vient nourrir cette relation se développant aussi par l'imitation (le rapport natation-pistolet dont il ne faut pas avoir peur est très bien trouvé, et sera un bon leitmotiv pour maintenir un lien entre les deux personnages) et la curiosité mutuelle. Chacun s'observe, s'apprivoise, ni l'un ni l'autre ne prend l'autre pour un con. Dakota Fanning est étonnante dans ce rôle de petite midinette qui ne joue à la grande que pour attirer l'attention des adultes, uniques amis potentiels dans son milieu de vie protégé, mais qui reste au fond une enfant qui a besoin d'un père absent. En cassant l'habituelle relation unilatérale enfant/parent, cette relation devient d'autant plus authentique, et le processus de rédemption de l'ex-tueur, crédible.


Sans la qualité de cette première partie, la suite aurait moins bien fonctionné. Et c'est avec la même force que pour la relation entre le garde du corps et la petite fille, qu'on croit à ce personnage brut de décoffrage, cet "artiste de la mort" (comme le nomme son acolyte) qui déploie tout un florilège de techniques par lesquelles vont souffrir ses victimes qui l'ont bien mérité. Denzel devient une sorte de bras droit de la vengeance justifiée, un Ange destructeur gratiné de références religieuses, accomplissant ce que la police aurait du faire depuis longtemps, incapable à force de corruption ou d'inefficacité. En filigrane on retrouve un thème cher à Tony, la lutte de l'individu contre un système qui ne va pas bien. Mais point ici d'oeuvre auteurisante, il s'agit avant tout d'un divertissement à la fois efficace et poétique, où la cruauté de cet univers est tempérée par la candeur de la petite fille, dont la présence est rappelée par des flashbacks entêtants. Paradoxalement à la fin un équilibre se fait, en douceur, à la manière d'un sacrifice christique. Une conclusion audacieuse par l'émotion dégagée pour ce genre de film, alors qu'on pouvait s'attendre à ce que la vengeance froide du garde du corps balaye tout sur son passage.


Au niveau de la forme, il s'agit aussi du film de la renaissance artistique et esthétique pour Tony, amorcée au début du siècle. Une expérimentation visuelle qui atteint une sorte de grâce, et qui constituera un trio gagnant avec Domino et Déjà vu, partageant comme par hasard la même mélancolie à fleur de peau. Une réalisation finalement assez posée mais qui monte en épingle à renforts de jump-cut et de toute sa grammaire visuelle (sur-impression d'images, filtres de couleur, montage accéléré, ...) aux moments de fébrilité ou de tension. Bref, une mise en scène relativement discrète dans la première partie, mais qui nous explosera littéralement la rétine dans la seconde, particulièrement pour nous exposer non seulement l'âme de l'ex-tueur blessée à vif, mais aussi la folie de ce milieu qui est en liesse alors que celui-ci entend des coups de feu. Loin d'un style fonctionnant à vide, Tony Scott nous fait ressentir sa vision plutôt que l'exposer, et ainsi nous fait partager un talent pour la narration visuelle et sensitive. La BO, qu'on dirait empruntée au frère Ridley car on entend beaucoup de trémolos et de world music, accompagne parfaitement cette histoire sombre, sensible, et touchante. Enfin, comme dans True Romance ou Revenge, même les petits rôles existent dans ce film, et je retiens tout particulièrement un Christopher Walken assez retrait, interprétant ici l'un de ses meilleurs rôles d'une décennie en demi-teinte : un père compatissant pour l'ex-tueur.


Un script pouvant tenir sur un post-it, transcendé par un casting et un style qui placent à égalité la vengeance et la compassion. L'alchimie idéale du revenge movie?

Arnaud_Mercadie
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le 28 avr. 2017

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Dun

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