Manhattan Night remplit parfaitement les codes du film noir : un anti-héros (un journaliste qui pourrait tout aussi bien être un privé) contacté par une femme fatale en détresse se retrouve mêlé à une sombre histoire, et la cible d'un homme puissant et dangereux.
Le cahier des charges est respecté au pied de la lettre : la femme fatale, plus trouble qu'elle n'y paraît, est blonde et s'habille toujours en blanc. Veuve blanche sortie d'un Hitchcock ou de Basic Instinct, elle emprisonne le héros grâce au sexe, et une fois pris dans sa toile, il va mettre en péril son travail, sa vie de famille, et sa vie elle-même.
La figure du "méchant" est elle aussi archétypale : âgé, laid et puissant, utilisant ses hommes de main pour faire pression sur le héros.


Rien d'original a priori, donc, si ce n'est que le scénario réserve de belles surprises, notamment au travers de certains dialogues surprenants de réalismes, qui permettent de faire avancer l'intrigue quand on s'y attend le moins. L'histoire se révèle subtile et intéressante, tout comme les personnages, grâce à deux acteurs tout en sensibilité. Adrien Brody (Porter) et Yvonne Strahovski (Caroline) subliment leurs rôles, rendant leurs personnages tangibles, vrais, touchants.


Alors que l'on commence, à l'instar du protagoniste, par être séduit par l'apparente fragilité de Caroline, et par l'humanité de Porter, on se retrouve bientôt séduit au-delà de notre méfiance par l'histoire elle-même, son enquête et ses révélations.


Quelques bémols cependant viennent ternir un ensemble excellent : d'une part le personnage de Simon, l'époux abusif (décédé avant le début du film et uniquement présent via des enregistrements vidéo), caricatural au possible, peu crédible face aux autres, ne dégageant pas le mystère et le magnétisme nécessaires à la suspension d'incrédulité vis-à-vis du couple dysfonctionnel que lui et Caroline sont censés former. Il fait parfois basculer le film dans un jusqu'au-boutisme peu vraisemblable, plus digne du cinéma japonais ou coréen que de la sensibilité occidentale. Ainsi, certaines scènes d'improbables rapports d'amour/haine n'auraient pas été reniées par un Takashi Ishii (Flower and Snake et ses rapports de domination et de voyeurisme) ou un Park Chan-Wook (Old Boy, ses jeux pervers et ses personnages fous).
D'autre part, les trente dernière secondes du film viennent en partie gâcher la subtilité des deux heures précédentes en offrant une conclusion qui plonge à pieds joints dans le cliché le plus basique du film noir, à l'encontre de la manière dont les personnages ont été incarnés tout du long. La faute à une voix off intrusive, souvent redondante et ici presque hors sujet, elle est le gros défaut du film et semble avoir été ajoutée en post-production par soucis de clarté, comme si le réalisateur ne faisait pas confiance à son immense acteur (ou à l'intelligence du spectateur).


Un film qui surprend, donc, sort du carcan de son genre et nous entraîne dans le mystère de son intrigue tout en donnant vie à ses personnages, pour mieux les enfermer dans leur archétype lors d'une conclusion qui ne leur rend pas justice.

ycatlow
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le 23 mai 2016

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ycatlow

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