Depuis A History of Violence, le cinéma de Cronenberg s’est transformé. Le choc a été violent et les cinéphiles les plus hardcore se montrent sceptiques, certains allant jusqu’à dénigrer ce que serait devenu Cronenberg – des cinéastes pertinents comme Christophe Gans (Necronomicon, Le Pacte des loups) en sont là. La vision des Cronenberg post-eXistenZ est déroutante et ses nouveaux films peuvent interroger : mais avec Cosmopolis puis Maps to the Star, la transformation prend sens. Il n’y a plus de flottements, mais une autre période, où Cronenberg opte pour la simplicité, la psychologie et les grands maux. Les symptômes, eux, sont envisagés de façon très concrète désormais.

Avec Maps to the Star, Cronenberg donne sa représentation de l’Hollywood auto-consumériste. Schrader en a donné sa version la plus directe cette même année (The Canyons), Lynch huit ans auparavant (Mulholland Drive), Billy Wilder dès 1950 avec Boulevard du Crépuscule. Ajoutons l’oeuvre de Bret Easton Ellis, auteur de Moins que zéro et nous avons les connexions nécessaires pour situer le film de Cronenberg. Sorte de film choral resserré, Maps to the Star dresse le portraits de quelques "stars" abîmées ou à la vocation absurde, présente leur cour, amalgame de langues de putes machiavéliques, de pervers démoralisés et de névrosés dépendants, où se trouvent parfois des individus très jeunes.

Parmi eux et au sommet, il y a Benjie Weiss (Evan Bird, treize ans), icône depuis ses neuf ans et fraîchement sorti d’une cure de désintox. C’est un petit ado comme un autre, pas un esprit puissant, pas une lumière, néanmoins par son cynisme il tient de l’adulte précoce. C’est une intelligence ici, plus importante encore que l’aptitude à séduire, laquelle ne concerne que la vitrine. L’autre personnage-pilier est Julianne Moore/Havana Segrand, la Clarice de Hannibal, acceptant un rôle difficile, dégradant. Du Mickey Rourke remontant sur la piste (The Wrestler), sans victoire à la clé. Elle incarne une de ces petites gamines enthousiastes et candides couvertes de dollars et de possessions tout en demeurant aussi vulgaires que les premières white trash pimpantes venues.

Cronenberg filme des êtres immatures dans un grand système froid, dont les distractions élitistes ont pris un méchant coup de vieux. Les jouissances hollywoodiennes sont devenues banales et l’horizon est inerte. Pas fade, pas tiède, inerte. Il n’y a aucune révélation possible dans ces lieux : comme chantier, c’est parfait, mais il vaut mieux passer en exécutant, ou capitaliser et partir pour garder sa valeur. Havana et Benjie sont foutus. Lui est déjà essoré et mal fini, alors qu’il est construit sur du sable et les psychoses de papa/maman ; elle est proche du cimetière des éléphants et ses mauvaises manies ont gagnées la partie (jusqu’à ce fantasme d’inceste envahissant). Quand à Robert Pattinson (héros de Cosmopolis), le vampire de Twilight, sa position dans le film et dans cet univers renvoie à celle ressentie selon ses confessions publiques.

Au milieu de tous ces gens, une fille au physique ingrat et au caractère apparemment mou. Agatha Weiss (Mia Wasikowska) porte toute la folie d’un système : comme "l’enfant symptôme" d’une famille pathogène, celui cristallisant tous les malaises et les non-dits, devenant parfois la béquille et le bouc-émissaire simultanément. Elle rampe pour atteindre les stars fânées et endurer leurs vices, parce qu’elle est le produit maudit de leur monde. Le souvenir de Crash fait surface régulièrement dans ce Cronenberg curieux mais déterminé. Est-ce une réussite ? Ce n’est pas novateur mais c’est un tableau franc, pertinent et un film de son époque – avec des symptômes positifs. La mise en scène est à la fois plus aérienne et cash (rien n’est dissimulé ou lointain). On dirait un peu INLAND EMPIRE sans la DTV et en accéléré, où la réalité est déjà trop tordue et minable pour laisser entrer la fantaisie.


http://zogarok.wordpress.com/2014/10/01/maps-to-the-star/

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le 2 oct. 2014

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