Le titre original, The Funhouse, attire l’attention sur une dimension symbolique essentielle à côté de laquelle un spectateur pressé pourrait passer : la « funhouse » porte en son nom l’idée de maison de plaisir et débauche, un lieu où l’on a du « fun », où l’on fait l’amour. Et de quoi parle le long métrage, sinon d’un éveil à la sexualité ? Il développe le thème de la perte de virginité par la métaphore du train-fantôme : le petit-ami vient chercher sa belle au volant de sa voiture, ils se tiennent la main, se rapprochent sur la grande roue, trouvent en la fête foraine une occasion d’explorer la sexualité et ses déclinaisons bizarres, à l’instar de ce chapiteau percé de trous par lesquels les curieux regardent se déshabiller les stripteaseuses. Or, l’initiation tourne au cauchemar, et derrière la romance se cache, en réalité, la bestialité la plus brutale : un fœtus déformé flotte dans un bocal, annonce le monstre comme anticipation proleptique du Frankenstein sans le masque, met en garde les amants contre une progéniture difforme et monstrueuse, celle commise dans le péché que répète à haute voix la vieille mendiante. Un motif bien connu, certes. Mais également un constat plus désabusé sur la nature humaine : un coup d’un soir, l’homme disparaît et la femme reste avec le souvenir de cette nuit, un souvenir qui tend à grossir en elle. La créature apparaît alors tel un avatar de cet enfant non-désiré et fruit d’une union sans lendemain.


Ce faisant, Tobe Hooper joue avec les clichés du genre, ouvre son film sur une parodie d’Halloween et de Pyscho pour à la fois amuser son spectateur et raccorder des affiches et des références culturelles au mal profondément humain qu’elles représentent. Le trajet effectué par le long métrage part des hauteurs de la grande roue illuminée pour finir en sous-sol, dans les engrenages de la lourde machinerie qui anime le complexe forain, qui rend vivante la grosse dame assise sur le titre, Funhouse, à l’extérieur. Nous passons du divertissement mignon – une peluche panda contre un coup de maillet – à l’épouvante viscérale. De l’innocence à la faute. Mais l’intérêt que revêtent les personnages du cinéma de Hooper, c’est que la violence qu’ils déchaînent est causée par leurs soins : ils sont arrogants, se moquent de la voyante, veillent à se faire enfermer dans le train-fantôme pour copuler joyeusement, violent l’intimité de la grande famille foraine. Ses personnages sont avant toute chose des spectateurs qui connaissent les œuvres de cinéma, aiment se faire peur ; ils sont convaincus que l’horreur appartient à la fiction. Et ce que montre The Funhouse, c’est comment la fiction peut devenir réalité, comment le cauchemar prend vie à mesure que l’individu se croit tout-puissant et met à mal la tranquillité des autres.


Aussi, le film répète le parcours de The Chainsaw Massacre : la propension de la folie individuelle à disperser le collectif, à décimer la bande d’amis en fracturant son identité et en confrontant l’être à sa solitude fondamentale ; également le droit – cher à l’Amérique – à la propriété privée, et au mystère qui l’entoure. Doté d’une mise en scène magistrale qui réserve une acmé vraiment anxiogène, The Funhouse confirme le talent de son cinéaste, Tobe Hooper, que l’on a tendance aujourd’hui à réduire à la tronçonneuse de l’une de ses créations.

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le 17 juin 2020

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