A sa sortie, Matrix eut pour beaucoup l’effet d’une rouste magistrale. Une agglomération d’influences (mangas, films d’arts martiaux, SF littéraire, Neuromancien de William Gibson, Simulacron 3 de Daniel F. Galouye, Ubik de Philip K.Dick, Tron, Total Recall, Terminator, They live, Ghost in the shell, Dark City…) offrant un spectacle alors visuellement inédit. On se trouvait clairement dans la continuité de la SF sombre et craspouille des années 80-90, très loin des mondes fantaisistes, boursouflés de CGIs chatoyants du cinéma de science-fiction actuel. Et quelque part, le film annonçait à lui-seul l’ère des comics movies (le premier X-Men, produit durant la même période, sortit quelques mois après). Je me souviens avoir compté parmi les foules de fans qui attendaient alors de pied ferme ses deux suites annoncées et tournées l’une après l’autre par les Wachowski.

Je me souviens aussi de la déception que fut pour moi Matrix Reloaded lorsque je l’ai découvert en salles. Une déception que je n’arrivai pas à m’expliquer. J’avais carrément l’impression que ce n’était plus les auteurs du premier film qui étaient aux commandes. Que les Wachowski (alors frères) n’étaient les réalisateurs que d’un seul grand long-métrage ou de deux (leur premier film Bound était très bon dans son genre).

Revoir Matrix Reloaded aujourd’hui me permet avec le recul de comprendre pourquoi ce second opus m’a autant déçu à son époque (et pas seulement moi).

Dès les premières minutes du film, quelque-chose cloche. On commence avec une séquence d’action suivant les acrobaties de Trinity comme dans le premier film, ralentis iconographiques, explosion, baston, poursuite, fusillade, puis soudain c’est le ratage. Une énorme faute de goût que les réalisateurs ne cesseront de répéter ensuite : la chute de Trinity du haut d’un immeuble, filmée en ralenti effet bullet time aurait pu impressionner à l’époque si les Wachowski avaient eu un tant soit peu de bon sens. La séquence, beaucoup trop longue, voire interminable, donne l’impression que les réalisateurs se vautrent dans l’écueil des SFX à outrance. Le spectateur, lui, baille déjà.

Rappelons que le début des années 2000 voit en effet quelques péloches hollywoodiennes abuser des effets numériques inutiles, de ceux injustifiés et beaucoup trop nombreux du Retour de la momie à ceux ridicules de Meurs un autre jour (James Bond faisant du kite surf sur un océan en CGI, la voiture invisible… même Roger Moore en a eu honte pour Brosnan) sans oublier bien sûr la prélogie Star Wars et ses plans en full cgis, aujourd’hui aussi crédibles que toonville dans Qui veut la peau de Roger Rabbit ?.

Les Wachowski n’échappaient donc pas à la contagion et le prouvaient ici à plusieurs reprises dans des effets de style beaucoup trop longs. Le premier combat entre Neo et les hordes de Smith est à ce titre particulièrement éloquent : trop long, répétitif et donc ennuyeux, moche qui plus est, et je ne parle pas des doublures qui ressemblent à peine aux deux acteurs. On finit par se demander si la scène va finir un jour alors même que les cinéastes finissent par avouer eux-mêmes l’inutilité de la séquence en contraignant finalement Neo à s’enfuir par les airs, ce qu’il aurait pu faire dès le début.

Il n’y a évidemment pas que les séquences à SFX qui craignent, le premier pugilat de Neo avec les agents (à la chorégraphie étonnamment mollassonne malgré la présence de l’artiste martial Daniel Bernhardt dans le rôle de l’agent Johnson), celui complètement lourdingue avec Séraphin, l’exposition ennuyeuse à Zion et la description de sa hiérarchie, son esthétique, sa fête aux accents orgiaques et tribaux renvoyant aux rites primordiaux de l’humanité (on a bien saisi la démarche pachydermique des Wachowski), cette scène d’amour qui n’en finit pas… elle non plus.

Dans son ensemble, Matrix Reloaded pâtit d’un problème de rythme justifié par des auteurs pris à leur propre piège. L’élu étant depuis la fin du premier film devenu un personnage quasi-invincible, il leur est difficile de créer de nouveaux enjeux et des scènes véritablement tendues.

La meilleure scène du film sera d’ailleurs particulièrement révélatrice de cet écueil : avec dans l’idée de mettre au centre de leur film une grande scène de course-poursuite, mais handicapés par la présence d’un Neo dont ils ne savent plus trop quoi faire (à part meubler ses interventions par quelques combats complètement vides de sens), les Wachowski trouvent la pirouette parfaite en exilant le personnage à l’autre bout du monde, l’empêchant de secourir tout de suite ses alliés ainsi rendus vulnérables par son absence. La poursuite sur l’autoroute, malgré certains de ses effets de style un peu ridicules, retrouve ainsi presque le même souffle qui animait les morceaux de bravoure du premier film, à ceci près que son issue parait rapidement évidente, Neo se voyant rétrogradé du rang de protagoniste à celui de deus ex machina.

La suite du film sera bien plus ennuyeuse et s’acheminera vers une confrontation avec une entité omnisciente, l’Architecte, aux faux airs de Philip K.Dick déblatérant son sermon pseudo-métaphysique à deux sous (la thématique du choix se voit ici répétée, comme un écho aux pilules rouge et bleu du premier opus). Tout cela pour conclure le film par un cliffhanger abrupte avant de nous annoncer : « to be continued« .

D’où mon gros coup de gueule à l’époque et encore aujourd’hui. La règle devrait être enseignée dans toutes les écoles de cinéma et être ainsi présentée : On ne conclut jamais, JAMAIS, un film par « to be continued » !

A l’exception de Retour vers le futur 2, aucun bon film ne s’est jamais terminé par la mention « to be continued« . Un film de plus de deux heures et de plus d’une centaine de millions de dollars de budget n’est pas un épisode de série. Même s’il est l’opus de transition au sein d’une trilogie, son intrigue doit se constituer d’un début, d’un développement et d’une conclusion adéquate ouvrant s’il le faut sur les enjeux du troisième film. Mais en aucun cas, il n’est permis de le clôturer de manière abrupte avec juste une mention « to be continued« . C’est non seulement se foutre du spectateur mais aussi avouer qu’on ne sait pas structurer un scénario. Même George Lucas n’a jamais osé terminé ses Star Wars par « to be continued« . Qu’auraient dit les fans du Seigneur des anneaux si Les Deux tours s’était terminé par « to be continued » ? Ou encore ceux de The Dark Knight ?

Bref, Matrix Reloaded est déjà décevant tout au long du film mais le relatif désintérêt et les critiques mitigées dont il a souffert à son époque s’explique pour beaucoup par toutes ses fautes de goûts et sa conclusion bâclée au possible.

Ces erreurs n’en sont que plus évidentes vingt ans plus tard.

Reste des idées intéressantes comme celle de l’ancien agent Smith affranchi du système et se dédoublant, assimilant comme un virus (le fameux virus dont il qualifiait l’humanité dans le premier film, ironie), tellement égocentrique qu’il ne peut se satisfaire que d’un monde peuplé que de lui-même (ce qui donnera lieu à une image particulièrement marquante à la fin de Matrix Revolutions). Un traitement qui renvoie pour beaucoup au Palmer Eldritch du roman de Philip K.Dick Le Dieu venu du Centaure. Il y a aussi ces personnages de programmes rénégats comme le Mérovingien qui apporte un peu d’humour à l’ensemble. Et encore, d’un point de vue plus esthétique, cette idée de donner des tonalités visuelles plus vertes à la photographie, ce qui amplifiait la dimension science-fictionnelle du monde de la matrice.

Mais la somme de ces maigres qualités ne suffisent pas à nous faire avaler le bousin sans faire la grimace. Matrix Reloaded est plus qu’un ratage ou même qu’une grande déception, c’est un énorme rendez-vous manqué. Là où l’on attendait à l’époque une date dans l’histoire du cinéma de SF, un grand film de genre au moins aussi bon sinon meilleur que le premier film, on se retrouvait face à une superproduction à la structure chaotique, aux séquences d’action ennuyeuses et souvent ratées et aux dialogues ampoulés, farcis d’un charabia pseudo-philosophique particulièrement représentatif du syndrome du cinéaste se croyant toujours plus intelligent que son spectateur. Le speech central de Morpheus est à ce titre particulièrement représentatif, une accumulation de lieux communs déclamés sur un ton solennel et faisant passer un simple baratin en discours censément fédérateur et galvanisant. Du remplissage par le vide en somme, comme tout le reste du film.

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le 4 mai 2023

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Buddy_Noone

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