Quand la beauté aime à être détestée

Difficile d'émettre un avis sur un film qui au visionnage m'a d'abord inspiré un profond dégout, une haine quasi viscérale. J'hésite entre lui mettre 0 et dix. Pour remettre un peu de contexte, à quinze ans je trouve l'étonnante jacket de ce DVD sur l'étagère de mes parents et cette étrange figure d'une esthétique à la fois précieuse et mélancolique, que je ne sais pas encore référencée à l’Ophélie préraphaélite de John Everett Millais, me fascine immédiatement, m'intrigue, mais m'effraye aussi. A l'époque je découvre à peine le cinéma, je suis fan de Scorsese, Tarantino et des Cohen, j'adore le cinéma de genre et on peut le dire, j'en suis encore aux balbutiements de l'expérience esthétique. Je redoute donc un film contemplatif bien joli mais plan-plan et chiant comme la pluie.

D'abord c'est l'attente inquiète devant la course des planètes, véritable balais au ralenti sur fond du prélude de Tristan et Iseult de Wagner (oui j'ai vérifié sur Wikipedia pour faire genre je m'y connais, et alors ?). En tout cas, je me dis à ce moment que j'ai devant moi quelque chose de peut être grandiose.

Et me voici soudainement plongée dans cette interminable séquence de mariage d'une famille de la haute bourgeoisie, quasi des aristos, suivant les errements d'une Kirsten Dunst insupportable au possible, qui semble tout vouloir faire pour inspirer la haine du spectateur, par le mépris avec lequel elle traite son fiancé (qui semble à priori avoir tout du brave type) et sa famille (qui parait elle beaucoup moins sympathique, en particulier le père). Cette soupe de cruauté et de mesquinerie se prolonge à l'infini dans les salles du Château familiale ("soupir consterné du moi adolescent proto-communiste incapable d'empathie pour les pavoisements feins et écœurants de cette clique de dominants ") : tout n'est que ragot, petites rancœurs au sein du cercle sociale de la famille, aigreur rance sous les beaux costumes, piques et menaces voilés dans les couloirs boisés et les jardins fleuris. Devant ce déferlement de pathos visiblement trop longtemps refoulé et faisant péniblement retour à la manière de pu suintant, je commence à ressentir en moi comme une réaction allergique. C'est presque si je ne suis saisi de nausée. Peut-être est ce là le fruit d'un écho personnel, bien que les diners familiaux n'ai jamais eu chez moi de si larges espaces pour tourner au cauchemar, je vous rassure... Bref, trêve d'égarement. Tout tourne mal évidement, avec en apothéose de la dégueulasserie de cette classe décadente l'adultère au sortir de l'autel.

A l'époque j'ai bien du mal à simplement m’intéresser à cette avalanche sans cesse accentuée de toute la médiocrité humaine... Malgré une photographie sublime, un sens du cadre, du découpage et du montage élégant, acerbe, à la fois efficace et contemplatif, qui se permet des envolés oniriques contemplatives superbes à l'approche de la planète Mélancholia (je ne peux m'enlever de la têtes les magnifiques plans des éclairs sortant des doigts de Kirsten Dunst vers le ciel ou d'autres images surréalistes dans sa fuite dans les jardins).

Puis vient la seconde partie, celle où après le départ des convives de ce mariage avortée, Justine (Kirsten Dunst) parait s'abandonner complètement à son marasme existentiel tandis que sa sœur (Charlotte Gainsbourg) tente vainement de la sortir de sa torpeur tout en s'occupant de son fils. Et là on se dit tout de même que c'est long... C'est long et en plus ça fait mal : on se demande si le film ne cherche pas au fond à nous contaminer de son nihilisme comme son personnage principal contamine de sa dépression tout son entourage, qu'il n'invite pas tout simplement son spectateur au suicide, qui parait presque préférable à toutes les beautés qui s'offrent à lui vu le prix de souffrance auquel elle se paye à chaque interaction entre deux personnages.

N'ergotons pas plus longtemps : Mélancholia est sans doute l'expérience de cinéma la plus pénible à laquelle j'ai eu à faire face, mais aussi la plus paradoxale... Ordinairement même les films les plus désespérés me rendent heureux quand il sont bons... Ou bien le font-ils parce que j'ai depuis appris à les aimer. Mais Mélancholia m'avait à l'époque bien plutôt jeté dans un désespoir intense, quand il faut l'avouer je n'avais pas forcément encore toutes les idées en place. C'est ce qu'on appelle un véritable trauma de cinéma. Une expérience qui hante celui qu'il a vu.

Pourtant contrairement à beaucoup de ces films, et je mets cela à son crédit, Mélancholia n'a pas besoin pour nous pénétrer de sa noirceur de chercher des effets d'horreur visuel et de choc (à la manière d'un Noé ou d'un Pascal Laugier). Au contraire, il nous l'enrobe dans la joliesse de son esthétique, ce qui renforce encore l'angoisse et l'impression d'avoir à faire à une humanité perdue. En effet, pour ceux qui y verrait une analyse de classe, on peut dire que le film ne pose son regard que sur cette élite sociale que le qualificatif aisé ne suffit pas à définir. Il n'offre jamais de contraste à ces êtres éthérés et détachés du monde, semblant s'y associer et même se complaire dans leur malheur bourgeois.

La seule consolation de cette opéra décadent et sinistre ? De cette danse macabre ? Ils meurent tous à la fin.

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le 20 mars 2023

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