Je ne ferai pas l'original, Memories of murder est certainement l'un de mes films sud-coréens préférés. Dès le départ, le spectateur est averti que cette histoire se base sur un crime non résolu (un viol de femmes toujours exécuté de la même façon, très professionnellement, sans laisser de traces), et pourtant je tombe dans le panneau à chaque fois. Si l'intrigue est aussi prenante bien qu'on sache comment ça va finir, ce n'est pas un hasard. Joon-ho Bong possède un véritable talent dans la direction des acteurs, la rupture de tons, et la mise en scène, qui confère à ce film une patte immédiatement reconnaissable entre tous les polars qui ont abordé le même type de sujet (une enquête se soldant par l'échec).


La réalisation se fait pourtant presque invisible (pas de gros mouvements de caméra), mais elle se met toujours au service des personnages avec un sens aigu du cadre (comme cette façon d'insister sur les visages, pour en tirer divers effets, c'est-à-dire comiques, dramatiques, ou propres à l'enquête), et de son environnement rural (mortellement beau et mystérieux). En dépit d'un fond superbement tragique (la musique aide en ce sens), Joon-ho Bong sait comment relâcher la pression et produire un décalage sordide, en jouant de l'opposition entre ses deux personnages principaux, à savoir ce policier de la ville, sérieux et méticuleux, et ce policier de la campagne, usant de combines pour le moins douteuses (torture, orientation des réponses) pour arriver à ses fins. Ils partagent le même but et la même passion (résoudre des enquêtes), mais tout les oppose, tant leurs méthodes et leurs caractères. Ce qui donne bien souvent des séquences irrésistiblement drôles et picaresques (le coup de pied sauté de l'adjoint, running-gag ambulant), qui sont loin d'être gratuites, puisqu'elles soulignent aussi la désorganisation d'une police locale dépassée par les événements. Une impuissance latente qui arrive à son comble durant un dernier acte déchirant et frustrant. Ce polar prend alors un tour quasi métaphysique, avec une vérité autour de l'identité du coupable qui échappe totalement aux procédures des deux policiers (brutalité versus méthode), aussi opaque et fuyante que le tunnel sur lequel s'achève cette enquête.


Difficile de cataloguer tous les sentiments qu'on a devant ce film, tant les registres utilisés sont différents (comédie, enquête policière, étude de caractères et de terrain, tragédie), ce qui en fait une oeuvre profondément riche, humaine, et touchante. C'est pourquoi j'apprécie autant les films de ce réalisateur, capable d'une scène à l'autre de faire rire, d'émouvoir, ou de faire réfléchir sur ce qu'on voit à des degrés parfois très élevés, sans qu'on fasse d'effort particulier, par la seule puissance de la narration et de sa mise en scène. Très fort.

Arnaud_Mercadie
9
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le 22 avr. 2017

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Dun

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