Film épique et romanesque, qui nous transporte de Moscou à Irkoutzk, en passant par Omsk, ville natale de Michel Strogoff, en Sibérie (le film est en partie tourné en Lettonie). Une grande réussite de l'école russe parisienne des années 20 : le réalisateur est Tourjanski, les deux opérateurs Fédote Bourgasoff et Nikolai Toporkoff ont travaillé avec Volkoff et Mosjoukine pour la société Albatros (on les retrouvera avec Tourjanski sur le tournage du Napoleon de Gance).
Cette superproduction de 1926, dominée par le grand Ivan Mosjoukine (Le père Serge), est un vrai régal pour les yeux, une profusion d'images colorées (le film est en couleurs, soit par teinture de la pellicule soit par la technique du pochoir), avec une très belle partition musicale. Le rythme ne baisse quasiment jamais. Le montage rapide dans la première partie est impressionnant, comme le sont les grandes scènes de batailles, lorsque les Tartares prennent Omsk ou déferlent vers Irkoutzk, où ils incendient le fleuve après y avoir vidé les réservoirs de naphte : la pellicule semble alors s'embraser, tandis que Michel Strogoff combat le traître Ivan Ogareff. C'est la magie du cinéma : plus que les superproductions du cinéma parlant, le film fait revivre par l'image le souvenir des livres d'aventure, et toutes les images produites alors dans notre imagination. Plans de nuit avec des chevaux apparaissant dans la lumière comme des collages, plans dans la montagne et dans la neige, gros plans (le visage sans cesse transformé de Strogoff, héroïque, accablé puis transfiguré), plans larges des scènes de batailles, travellings sur la course endiablée des cavaliers tartares. On n'est pas loin parfois du Napoléon de Gance, avec moins d'ambition, si ce n'est celle de nous transporter vers des horizons lointains et de décrire la lutte de Strogoff contre la marée montante de l'histoire (visions du tsar, dans la scène du bal à Moscou, du déferlement des barbares asiatiques).
La scène de l'aveuglement est poignante. Lorsque l'émir ouvre au hasard le livre sacré pour énoncer la sentence, et lit le verset "et il ne verra plus les choses de la terre", le destin de Michel Strogoff prend une dimension sacrée, celle de l'histoire relue et réinventée par les grands romanciers du XIXème siècle. Mosjoukine intériorise de manière impressionnante ce destin de messager du tsar pris dans la tourmente des guerres et des dévastations.

finisterrae
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le 11 juil. 2021

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