Avec ses gros godillots esthétisants, Ari Aster se plante lamentablement au pied du mât de mai, à travers une fable risible à l’horreur balourde et vulgaire, pire, un objet hautement pernicieux par son propos.


Pendant une heure, l’année dernière, devant Hérédité, on pensait assister à la naissance d’un jeune cinéaste prometteur, amenant un renouveau bienvenu dans l’horreur de plus en plus canalisée. Hélas, après ce moment d’enthousiasme, l’apparition d’un personnage rencontré par la protagoniste principale dans une sorte de groupe de parole sectaire, faisait sombrer le film dans une regrettable nullité qui immergeait totalement la brillante première partie par sa lourdeur et sa convention devenus propres au genre.
Il revient cette année avec Midsommar qui bénéficie d’une bande-annonce à la fois bourrée de belles images ensoleillées et intrigante, remplissant parfaitement sa fonction publicitaire: on demande à voir. Hélas, et là dès le début, Ari Aster tente très vainement de jouer les vilains garçons provocateurs et son film est une très longue épreuve de près de deux heure et demie. Tout commence très mal car on est sensé avoir de l’empathie pour Dani, une jeune américaine que le cinéaste surcharge d’entrée dans une scène particulièrement gratinée et insistante, graphiquement parlant. Elle découvre elle-même que sa soeur ainée, souffrant de bipolarité, a fait démarrer dans le garage les deux voitures familiales affublées de tuyaux partant des pots d’échappement: l’un finissant dans la chambre des parents, l’autre directement scotché dans sa bouche. Voilà, Dani est traumatisée et se retrouve seule au monde. Après ce choc, rien ne devrait plus pouvoir la choquer. Certes, c’est un choix de l’auteur, mais il est fortement discutable et confère aux fameux syndrome de Saint-Thomas, une des règles de nos société ultra technologiques et médiatisées: on doit tout montrer et surtout tout voir. C’est ce qu’ont très bien compris les terroristes qui filment leurs exactions et les médias anxiogènes qui les étalent à la perversion intrinsèque, voire carrément culturelle, de celles et ceux qui se sentent obligés de les voir pour les croire, en utilisant le prétexte documentaire pour justifier leur philosophie de vie totalement malsaine. Un certain cinéma (et là on parle autant de ce que l’on voit en salles que sur les écrans individuels, sous forme de séries par exemple) racoleur au possible s’est engouffré dans cette brèche béante et fait malheureusement de plus en plus le plein de fanatiques de sensationnalisme parfaitement gratuit et dénué de toute autre chose, à part le spectacle.
A ce moment, et le film vient à peine de débuter, on se dit que l’on ne va sûrement pas assister à un festival de subtilités. Et c’est rien de le dire! Mais l’espoir est encore permis. Dani, qui doit forcément se changer les idées, décide de prendre part au projet de son copain Christian qui a accepté l’invitation d’un camarade suédois de sa faculté d’anthropologie, Pelle, de l’accompagner dans sa communauté d’origine avec deux autres étudiants, Josh et Mark, afin d’assister aux cérémonies de mi-été, comme l’indique explicitement le titre du long métrage. Vu la tragédie que vient de vivre Dani, les quatre garçons ne peuvent refuser sa présence et ce, même si Christian s’apprêtait à la quitter pour être totalement libre lors de ce voyage en Europe du Nord. On retrouve les cinq jeunes gens dans une voiture qui les conduit de l’aéroport à la rase campagne où doivent se dérouler les festivités. Et là, un plan subjectif sophistiqué fait se retourner le décors sens dessus dessous pour bien nous faire comprendre dans une surenchère esthétisante que tout va basculer. On aurait envie de rire tant l’exercice est risible au possible. Dans la scène suivante, Pelle retrouve des amis d’enfance eux aussi accompagnés de touristes curieux. Tout le monde se drogue avec des champignons et, forcément Dani, fait un mauvais trip. L’espoir que le film prennent une bonne tournure s’amenuise comme une peau de chagrin.
Et c’est l’arrivée au camp. Dès lors on va de déconvenues en déconvenues car le scénario original d’Ari Aster cumule les imbécilités et les incohérences de débutant tout en se montrant particulièrement prétentieux. Pelle explique que les membres de sa communauté se retrouvent tous les nonante ans pour ces réjouissances estivales, et que ceux qui fêtent leur septante-deux ans cette année-là se supprimant volontairement pour faire place aux nouveaux. Hein? Quoi? Comment? Pourquoi? Le lendemain, après une nuit très courte, voire inexistante, puisque le soleil ne se couche pas durant cette période sous ces latitudes, les Américains sont invités à prendre part à une procession jusqu’au pied d’une falaise. Parmi les processionnaires, une homme tient un énorme maillet. Tiens, tiens, l’outil n’est sûrement pas là pour rien… Arrivés à l’endroit, on assiste à la précipitation dans le vide d’un couple âgé du haut de la falaise. Aster insiste lourdement avec des gros plans bien immondes sur l’écrabouillages des deux corps. L’un d’eux est encore vivant. Qu’à cela ne tienne, le possesseur du maillet assène un coup radical sur la tête de ce dernier, toujours avec gros plan racoleur à l’appui.
On vous passera les détails sur la bisbille potache qui met en conflit Christian et Josh, l’ours, la tarte aux poils pubiens, le feu purificateur et toutes les autres stupidités issues des rites païens liés aux fêtes d’été, comme la danse du mai autour d’un pieu fleuri et la Saint-Jean, entre autres, que l’auteur-réalisateur fort peu inspiré vomit dans un gloubiboulga indigeste et hautement ridicule jusqu’à l’ultime seconde de son interminable navet très difficilement défendable.
Donc, on sort de ce calvaire avec un énorme sentiment de colère et, quand on y réfléchit, on remarque avec un fort relent de nausée que cette chose qui ne mérite aucun soutien à tous points de vue se base sur une croyance plus que douteuse: le mal (Pelle qui avait pour mission d’amener de la chair fraiche à sa secte) vient de l’étranger. D’habitude, il vient envahir ceux qui l’ont reçu, comme on l’entend depuis bientôt trop souvent dans les discours fascistes et populistes qui fleurissent aux quatre coin de la planète et y trouvent un terreau incompréhensiblement fertile. Là, il vient chercher des innocents pour les amener chez lui et s’en jouer de manière mortifère. Mais le résultat reste le même: le mal, c’est l’étranger. Et rien dans cette horreur sur grand écran ne parvient à sortir de ce discours terriblement gratuit, ne s’appuyant que sur la peur que l’on érige en étendard. Seule réaction saine face à un tel délire malsain: la huée!

RemyD
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le 7 oct. 2019

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