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L'inconstance toujours inégale avec laquelle Spike Lee réalise des films merveilleux ou ratés interroge quant à son talent propre.


Spike Lee est un réalisateur prolifique et pluriel, qui autour du thème commun de la cause noire, s'attaque à tous les genres, du film de braquage (Inside Man) au drame sur le repentir (La 25ème heure, son chef d'œuvre, paradoxalement pas centré sur cette cause), du film musical (Mo' Better Blues) à l'enquête policière (BlacKkKlansman).
En passant donc par le film de guerre avec ce Miracle à Santa Anna.


En décidant de raconter l'histoire de la résistance italienne en la mêlant au massacre de Santa Anna (sans comparaison mais, pour comprendre, l'équivalant du Oradour-sur-Glane italien) par le biais du bataillon des Buffalo Soldiers, uniquement composé d'hommes noirs (de toutes origines confondues), Lee prend déjà un biais étrange, qui lui valut d'ailleurs il y a 11 ans les foudres d'une partie des Italiens, lui reprochant de donner un point de vue extérieur sur la résistance italienne qu'il accuse d'être en partie responsable de crimes de guerre.
Au-delà de cet aspect personnel d'une lecture de l'histoire, ce qu'on peut reprocher à Lee est surtout de livrer un film mauvais.
Car si l'ambition est là (une part d'histoire, une fresque de 2h40), Spike Lee rate son film de guerre


Miracle à Santa Anna pèche à plusieurs niveaux.


Dans sa gestion désastreuse du rythme tout d'abord.


En 2h40, Spike Lee ne parvient à intéresser qu'au bout de quasiment deux heures. C'est lorsqu'il se concentre enfin sur son sujet et filme réellement la guerre qu'il est meilleur. Le reste n'est qu'éparpillement en sous-intrigues toutes moins intéressantes les unes que les autres, et véritablement inutiles, voire, et c'est pire, terriblement clichées ; de l'histoire de l'enfant (symboliquement nommé Angelo) à une amourette avec une locale en passant par une légende ancienne, le récit est noyé sous ces petites histoires, autant qu'il est noyé par une musique permanente étouffante (c'est un reproche applicable à quasiment tous les films de Lee), souvent clichée elle aussi (tambours militaires, mélodie italienne typique, rythme de far west).
C'est lorsque sujet concret du film, le massacre de Santa Anna, rentre enfin en jeu que les personnages prennent alors un peu d'épaisseur et que des enjeux apparaissent.


Dans son propos, ensuite.


On sait que le combat de la vie de l'homme comme du cinéaste est d'unir les noirs de son pays autour d'une cause commune et de pointer un système qui les opprime pour mieux éviter de les voir s'entretuer entre eux. C'est une démarche intéressante souvent efficace et réussie dans ses autres films. Mais ici, l'application au contexte de la seconde guerre mondiale est véritablement maladroite, allant jusqu'à faire dire des choses véritablement dérangeante.
Le racisme des blancs utilisant les noirs comme chair à canon lors de ce conflit est un sujet à dénoncer, mais le film le dénonce si mal que la cause, pertinente, se retourne contre lui ; ainsi dans la lecture du film, les Italiens sont de farouches antifascistes, accueillant sans jugement les soldats noirs dans leur maison, faisant qu'un des personnages ira même avouer qu'il se sent mieux dans ce village montagnard italien qu'il ne connaît pas que dans le pays dans lequel il a été élevé et pour lequel il se bat. Dans ce paradoxe anti-américain, qui est intéressant, Spike Lee idéalise une réalité historique toute autre, par utopisme, désir fictionnel et/ou ignorance (on espère en tout cas que ce n'est pas le troisième point). Les nazis sont donc soit d'ignobles méchants (parfois à raison, celui qui a perpétré le massacre) soit des gentils (le capitaine nazi interprété par celui dont on a l'impression qu'il n'a interprété que des nazis dans sa carrière, l'allemand Christian Berkel, qui donne à un soldat américain son arme et lui ordonne de se défendre, ou encore le déserteur ayant sauvé l'enfant autour duquel se construit une intrigue), tandis que les blancs américains sont d'ignobles racistes dont l'unique but est de retourner et noirs les uns contre les autres.
La réflexion pose un réel débat ; doit-on vraiment combattre pour un pays qui nous opprime au quotidien ou combattons-nous pour ce pays précisément pour le faire évoluer et s'y faire reconnaître ? "Ce n'est pas notre guerre, nous qui n'avons rien" vs. "nous qui n'avons rien, luttons pour avoir plus." Dommage que ce débat donne lieu à des incohérences et des facilités véritablement dérangeantes, alors que son ouverture citant Le Jour le plus long, donnait, via l'étude habituelle de Spike Lee du mythe américain montré faussement au cinéma et tronquant l'histoire d'une importante partie, justement le ton d'un film qui aurait pu être un retour nécessaire sur ce conflit.


Dans son excès de symbolisme enfin.


Les sous-intrigues plurielles et le propos maladroit sont chapeautés tout du long par l'ajout permanent et lourd de symboles pompiers. La référence à la religion comme union possible des hommes (scène de prières croisées en anglais, allemand et italien), la légende du "Dormeur" explicitée par des mises en abime ridicules, celle de l'enfant incarnant l'innocence (quelle originalité) et portant à lui seul, par sa force christique, la douleur des peuples saignés durant la guerre (avec en acmé du ridicule le fantôme de son ami décédé s'évaporant soudain dans les airs), ... Spike Lee asphyxie son film sous cette avalanche de symboles et de séquences toujours mal écrites, longues et gênantes, dans un film globalement sur-mis en scène et pauvrement interprété, sonnant toujours faux et se jetant pieds-joints dans le ridicule avec un final au sommet de la mièvrerie, où l'on viendrait presque à saluer le courage du cinéaste d'avoir osé.


Demeure en fin de compte le mystère Spike Lee, et sa prolixe inégalité.

Créée

le 17 déc. 2020

Critique lue 252 fois

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Charles Dubois

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