Yorgos Lanthimos fait définitivement parti de ces réalisateurs dont on adore regarder ses créations mais dont on se pose sérieusement des questions quant à sa santé mentale. Pour ce quatrième long-métrage, le cinéaste grec nous propose une nouvelle fable absurde dans une tournure plus dérangeante qu’à l’accoutumée. Cette Mise à mort du cerf sacré a des airs de tragédie noire avec une distance au second degrés dont on a du mal à comprendre le bashing au dernier Festival de Cannes.


Sur un air d’opéra lugubre, introduit par un fond noir suivi d’un premier plan dérangeant sur une opération chirurgicale montrée frontalement, on se doute que nous sommes pas là pour plaisanter (où alors avec un rire très jaune). Lanthimos voit son histoire en grand et apparaît grandi dans ses envies de formaliste tordu jusqu’au-boutiste. The Lobster apparaissait comme le film de la confirmation auprès d’un plus large public, étant donné la marginalité d’Alps et Canine, le metteur-en-scène s’est servi de cette consécration pour se permettre cette histoire (très) dérangeante avec une ambition visuelle immense. Principalement tourné à la steady-cam, rappelant le cauchemar à l’Overlook Hotel par Stanley Kubrick, Lanthimos signe une autre déconstruction de la structure familiale parfaite. Filmé dans des immeubles démesurées, où chaque corps humain apparaît comme insignifiant, on se retrouve devant un film particulièrement glaçant.


Montrant une vision particulièrement misanthrope et solitaire de l’être humain, retranché dans les moindres recoins de la noirceur (chantage sexuel, sacrifice justicier, instinct de survie égocentré), le film prend comme toujours chez Lanthimos une certaine distance tragi-comique. Là où certains y verront un message douteux sur la justice sauvage (œil pour œil, dent pour dent . Montré explicitement au détour d’une scène pleine de « mordant »), il est préférable de voir Lanthimos exploiter sa misanthropie non pas pour nous donner de leçons mais tout simplement raconter une histoire tragique avec recul. Evidement que nous nous posions des questions, du style Que ferions-nous à la place de Colin Farrel dans une telle situation ? mais Yorgos s’amuse à faire rire nerveusement le spectateur en le confrontant à la banalité d’une telle situation. Un trouble apparaît quant aux réactions si apaisées des membres de cette famille, dans un calme absolument pesant. Un apaisement absurde complété par les comédiens, parfaitement adapté au cinéma de Lanthimos. Farrel était déjà familier avec sa performance dans The Lobster tandis que Nicole Kidman et Barry Keoghan livrent des performances à couper le souffle, Kidman aussi forte et sec que son mythique « Let’s fuck » dans Eyes Wide Shut. L’écriture apporte son lot de dialogues cinglants comme un débat sur l’acquisition d’un lecteur MP3 si l’un ou l’autre meurt ou une demande de préférence inattendue apporté par ce père semblant être le seul être dépassé par les événements.


Difficile de se remettre facilement de ce conte désespéré (durant deux heures). Lanthimos a signé aussi bien l’un des plus beaux films mis en scène cette année ainsi que l’un des plus sombres. Ravi de voir le cinéaste poussé jusqu’au bout son concept dans toute sa démesure et ses traits les plus gros, où la subtilité cotoie sournoisement le grotesque (à ne pas prendre dans son sens péjoratif). On ne se lasse donc jamais des histoires tordus de cet auteur, surtout quand elles sont racontés avec une plus grande ampleur visuelle.


Critique à retrouver sur Les Brouillons du Cinéma.

VictorHa
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le 26 août 2017

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VictorHa

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