Si j'aime d'amour les westerns, c'est surtout dans la déconstruction de l'image du pionnier et du patriote, de l'homme et du héros, que proposent des réalisateurs de western spaghetti (Sergio Leone et Sergio Corbucci en tête) ou de western post-classique (Clint Eastwood et surtout Sam Peckinpah). Ils savent montrer, derrière l'image idéalisée de l'homme de l'ouest, stéréotypée par les westerns classiques, un monde de violence et de non-dits, où lorsque l'on approche des frontières du monde connu, on s'approche des frontières de l'humain.

Faisant partie pourtant de la mouvance du western spaghetti, Mon Nom est Personne apparaît cependant comme une anomalie dans ce registre.

Tout d'abord, j'aime énormément certains côtés du film. La thématique du film se veut une métalepse du film de western en général. Le personnage de Personne veut donner une fin héroïque à la légende de l'Ouest qu'est Jack Beauregard, afin que le panthéoniser dans l'imagerie populaire. Tout ce qu'a toujours fait le Western classique, et les western spaghetti et post-classique, d'une autre manière. Propos fascinant s'il en est, rendu encore plus méta par l'interprétation de Jack Beauregard par Henry Fonda, légende déjà confirmée de l'ouest cinématographique et hérault d'une certaine Amérique.

Ensuite, d'un point de vue cinématographique, le film est de très bonne facture, et le filmage de Tonino Valerii (ou de Sergio Leone, selon les sources) est parfois assez épique. La musique de l'éternel Ennio Morricone se met au diapason du sous-texte méta du récit, pastichant la Chevauchée des Walkyries de Wagner, ou ses propres compositions antérieures. L'interprétation d'Henry Fonda d'un héros vieillissant et las au milieu d'un ouest américain qui rajeunit et se modernise est aussi extrêmement plaisante.

S'il n'y avait que tout cela, Mon Nom est Personne serait un très bon western spaghetti, et pas seulement un bon film.

Ma principale et rédibitoire difficulté avec le film réside dans le personnage de Personne. Je ne m'attarderais pas beaucoup sur l'interprétation passable de Terence Hill, qui fait pâle figure devant Henry Fonda, mais sur le traitemetn du personnage. Ressort comique d'un film qui pourrait être crépusculaire, la légéreté de Personne (et le manque criant de trajectoire de ce personnage) fait entrer le film dans un biais qui me dérange.

Car si le Western Spaghetti vient d'une originaire contestataire et sociale, abordant les thèmes du danger du fascisme rampant dans la société italienne, des dérives d'une autorité répressive, de l'immigration et de la luttte des classes, de la veulerie de la nature humaine, la plupart des films de cette mouvance remplissent à merveille leur rôle de film de genre : par un récit violent, décompléxé et diverstissant, se déroulant dans un autre espace et une autre temporalité que le quotidien du spectateur, ils font passer par leur sous-texte leur engagement politique et social.

Mais il a fallu que cela soit perverti. Car Mon Nom est Personne marque pour moi le point de bascule du genre, introduisant dans un récit qui pourrait convenir à n'importe quel autre western spaghetti, un dose d'humour, définissant ainsi la suite de ce genre, qui ne sera plus qu'humour et légéreté, effaçant grandement et totalement la portée sociale et politique des western spaghetti d'alors.

Alors, oui, Mon Nom est Personne est un bon film, et peut-être un très bon film. Mais il est pour moi le symbole malheureux du cynisme de l'industrie cinématographique : une mouvance engagée et visionnaire, qui rencontre le succès, attirant ceux qui veulent en faire un divertissement plutôt qu'un art, le vidant de toute sa signification. Dans un parallèle osé, Mon Nom est Personne est au Western Spaghetti ce que sont Les Dents de la Mer au Nouvel Hollywood : un grand film qui ouvre, consciemment ou non, un immense boîte de Pandore

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le 23 juin 2022

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Agregturp

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