On sait Resnais friand des expériences formelles et discursives dans ses films, qu’il s’agisse d’explorer les interactions d’un couple à l’Histoire dans Hiroshima mon amour, à la mémoire dans L’Année dernière à Marienbad ou Je t’aime, je t’aime, il a toujours pris le parti d’associer fond et forme pour circonscrire les élans contradictoires de la psyché humaine. Dans Mon oncle d’Amérique, c’est la même intention qui sous-tend le projet, avec un pas supplémentaire franchi dans cette considération de ses personnages comme des créatures de laboratoires auxquelles on ferait subir diverses expériences.
Ponctué des théories du Dr Laborit, le récit va ainsi alterner discours documentaire et illustration par l’exemple, en suivant la destinée de trois personnages dont les récits vont s’entrecroiser. Si les débuts peuvent sembler assez laborieux, l’exposition accordant davantage de place à la mise en place du dispositif, et amenuisant la capacité émotionnelle du récit, celui-ci occupe progressivement une place de plus en plus importante. Resnais et son biologiste semblent vouloir laisser le spectateur faire par lui-même ses rapprochements, s’amusant des coïncidences et de cette audace à considérer ses personnages comme des rats de laboratoire.
Ce regard d’entomologiste ne fait pas toujours mouche, et s’accompagne notamment d’un jeu un brin artificiel qu’on trouve souvent chez le cinéaste, et avec lequel il n’est pas toujours facile de composer. La tonalité didactique occasionne quelques expériences formelles qui sont bien moins fascinantes que dans les précédents films du réalisateur, parce qu’elles sont au service d’une démonstration scientifique de laquelle semble absente la préoccupation esthétique. Ainsi des redondances de montage alterné entre les personnages et leurs idoles de cinéma Gabin, Darrieux et Marais, qui sont rapidement pesantes. Si l’on est loin du pouvoir hypnotique de Marienbad ou du lyrisme fébrile d’Hiroshima, c’est sans doute une volonté du réalisateur, qui se voit ici comme Zola s’envisageait dans son projet naturaliste : comme un scientifique en blouse blanche, conduisant ses petites expériences avec recul et supériorité. Le film s’en trouve délesté de toute une chair, et ne subsiste de lui que l’intérêt de sa forme originale, qui vieillit bien vite et ne laisse pas de marque indélébile sur le spectateur.

Sergent_Pepper
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Social, Mélo, Famille, Merci la médiathèque et Vus en 2015

Créée

le 23 juin 2015

Critique lue 1.9K fois

38 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

38

D'autres avis sur Mon oncle d'Amérique

Mon oncle d'Amérique
Sergent_Pepper
6

Rats out of cell

On sait Resnais friand des expériences formelles et discursives dans ses films, qu’il s’agisse d’explorer les interactions d’un couple à l’Histoire dans Hiroshima mon amour, à la mémoire dans L’Année...

le 23 juin 2015

38 j'aime

Mon oncle d'Amérique
B-Lyndon
8

Critique de Mon oncle d'Amérique par B-Lyndon

Je trouve que c'est un film extraordinaire. C'est un véritable volcan de cinéma en fusion, où se croisent des sons, des images, des voix, des mots, des personnages et plein d'autres choses aussi...

le 7 janv. 2014

31 j'aime

2

Mon oncle d'Amérique
StandingFierce
10

Critique de Mon oncle d'Amérique par StandingFierce

Un bon film? J'en sais rien, à vous de juger amateur d'art en tout genre! Je met 10 à ce film en le jugeant sur les critères exposés dans la critique, et non sur ces qualités cinématographiques...

le 6 mars 2014

11 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

766 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

701 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53