« Safety Last » est une comédie slapstick de 1923, ce qui en fait un film assez vénérable, quand on y songe… Il met en scène Harold Lloyd, un acteur comique qui forme avec le réalisateur Hal Roach une collaboration prospère depuis les années 1910. Lloyd, à l’image d’un Keaton ou d’un Chaplin, interprète un personnage unique, facilement identifiable à ses lunettes, et réalise lui-même ses cascades. Cascades qui lui coûtèrent la moitié d’une main en 1919 lorsqu’un explosif, qu’il pensait faux, éclate entre ses doigts.


L’histoire de « Safety Last » est assez simple et sert uniquement de prétexte à mettre Lloyd dans des situations propices à la comédie. Son personnage quitte sa petite bourgade campagnarde pour aller faire fortune en ville, et ment à sa fiancée à propos de son succès réel tandis qu’il n’enchaîne que des petits boulots pour subsister tant bien que mal. Lorsque celle-ci se décide à lui rendre une visite impromptue en ville, il va néanmoins lui falloir mettre les grands moyens.


Le film met en scène l’escalade d’un immeuble d’affaire par Lloyd lui-même, ascension périlleuse durant laquelle il se retrouve suspendu à une horloge. La scène, plutôt spectaculaire, est devenue depuis très célèbre et reste l’une des images marquantes du cinéma muet.


L’un des côtés attachants des premières années du cinéma est son aspect très amateur, rudimentaire, ce qui, paradoxalement, le rend parfois plus réaliste. Harold Lloyd incarne un personnage qui se nomme donc… Harold Lloyd, et la petite amie du héros, Mildred, est quant à elle jouée par l’actrice Mildred Davis, qui se marie avec Lloyd en 1923 ! Plus intéressant – et spectaculaire – l’escalade de la tour est réalisée par Lloyd lui-même avec quelques trucages. Une reconstitution du bâtiment haute de 4 à 5 mètres est placée au sommet de l’immeuble et permet, par effet de caméra, de donner cette impression de profondeur et de hauteur – en filmant la véritable rue. La sécurité est néanmoins assez laxiste : Lloyd teste la scène de l’horloge en lâchant un mannequin… qui rebondit sur le faux plancher et s’écrase sur la rue en contrebas.


L’escalade en elle-même n’est pas très difficile. Si l’on observe bien, on remarque que le renfoncement de mur que Lloyd agrippe est muni d’une large rainure qui forme ainsi une sorte de bac, offrant une prise pour les mains excellente et très stable. Il suffit ensuite de ne pas être en trop mauvaise forme physique pour être capable de s’y retenir lorsque les pieds lâchent, ce qui arrive régulièrement (surtout avec l’idée saugrenue de conserver ses chaussures de ville pour l’ascension).


Pour le reste, le film est assez classique. Outre cette scène qui est intéressante pour sa construction et spectaculaire pour un film qui n’est pas loin d’avoir cent ans, le reste prête plus à sourire qu’à se gausser grassement. Les scènes sont parfois un peu tarte à la crème (la camionnette) et sont très loin d’avoir le même degré de finesse et de préparation qu’un Buster Keaton.


Une question que je me pose souvent, face à une comédie de l’âge d’or Hollywoodien voire antérieure encore, c’est de savoir si l’humour est intemporel ou dépend du contexte et de l’époque… J’imagine qu’il n’y a pas de réponse simple, à part "ça dépend". J’ai toujours trouvé que le muet accusait son âge, largement plus que les films même sortis au début des années 30. En revanche, un Keaton ou un Chaplin ne prennent pas une ride, car ils fonctionnent avec un humour situationnel, très gestuel et visuel, qui ne dépend donc absolument pas de l’époque. De manière générale, c’est toutefois quelque chose de très personnel, et un film tordant pour les uns laissera les autres de marbre… je pense néanmoins qu’il est possible de juger une comédie quel que soit son âge.


À ce niveau-là, « Safety Last » ne demeure dans les annales que grâce à sa scène d’escalade : si le reste n’est pas déplaisant, il n’est absolument pas impérissable, c’est, tout au mieux, une comédie honnête. Mais je n’en demande pas plus.

Aramis
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le 19 mai 2017

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