« Près de la moitié des français considère passer à côté de leurs vies », nous annonce un article du Hu*ffington Post* s'appuyant sur les résultats d'une étude IPSOS publiés le 17 septembre 2015. Étant donné que nous ne pouvons que très difficilement être ailleurs que dans notre propre vie, on serait en droit de se demander quelle astucieux pas de côté ont réussi à faire ces derniers.
Nemo Nobody (joué par Jared Leto), le personnage central du film de Jaco Van Dormael, est peut-être le meilleurs exemple pour expliciter ce phénomène : enfant, le jeune Nemo avait déjà du mal à se confronter aux choix. On le voit par exemple devant un buffet de desserts, incapable d'élire celui qui le contentera le plus, pour finalement abandonner tout bonnement.
Le jour où ses parents se séparent, nous le retrouvons sur un quai de gare, le train près au départ, tenant d'une main son père et de l'autre sa mère. Celle-ci lui demande alors : « Alors, Nemo, avec qui choisis-tu de rester ? » Nemo reste paralysé. Dans deux plans parallèles, nous le voyons alors faire, à une seconde près deux choix : le voilà qui court derrière le train où est monté sa maman ; dans l'un il la rattrape à temps, dans le second, son hésitation le fait partir trop tard, il reste sur le quai avec son père. À partir de là, sa vie se divise en deux. Le même Nemo existant dans deux dimensions parallèles. À chaque nouveau choix qui suivront, comme lorsqu'il devra élire Anna, Elise ou Jeanne, sa vie se divisera de nouveau.
Pourtant, Nemo, reste connecté et conscient de toutes ces autres vies possibles. Et dans chacune d'entre elles, il semble comme absent, absent de sa propre vie, « à côté ». As-tu toi aussi parfois ce sentiment ? Si oui, sais-tu pourquoi ? Je me revois ce jour de mon adolescence, un soir où j'avais le choix entre assister passivement au cours de théâtre de ma nouvelle amoureuse et accompagner mon ami que je voyais alors peu faire une inintéressante démarche administrative. Je me suis senti totalement paralysé, incapable de faire le moindre mouvement. C'était en définitive un dilemme sans grande conséquence, or c'est la première fois que j'ai pris pleinement conscience de la difficulté devant laquelle nous mettent les moindre de nos choix : chacun d'entre eux exige une perte. Et bien souvent, ce qui nous obsède le plus, c'est ce que nous avons à perdre plutôt que ce que nous avons à gagner.
Ainsi, un homme qui se marie reste-t-il obnubilé par sa meilleure amie et la cousine de sa femme. L'on s'installe à la ville et l'on regrette la campagne. On va en vacances à la montagne et l'on veut soudain se baigner dans la mer. Ou pire : comme l'âne de la fable, on hésite entre le puit et la meule de foin, à s'en laisser mourir. Même si cela semble d'un certain point de vue formidable, de pouvoir comme Nemo Nobody vivre toutes ces vies potentielles plutôt qu'une seule, cela revient en vérité à n'en vivre aucune. C'est exactement pour cela que le personnage est Nobody (« personne »), et qu'en fin de compte, il n'est ni vraiment vivant, ni présent dans aucune de ses existences.
Inés, une de mes anciennes amoureuses, m'a en son temps énoncé ceci : à chaque moment de notre vie, nous faisons les seuls choix possibles pour nous au moment où nous le faisons. Existent peut-être des réalités parallèles où ses choix ne sont pas les mêmes. Mais ces réalités-là ne sont pas celle-ci, la seule où nous vivons. Une des dernières répliques du film, citant Tenessee Williams, énonce que « chaque vie est la bonne. Le chemin qu’on empreinte est toujours le bon chemin. Tout aurait pu être n’importe quoi d’autre, et cela aurait eu tout autant de sens. » Oui, nous n'avons qu'une vie, une seule. Pourquoi alors la perdre à penser à ce qui pourrait ou aurait pu avoir lieu ? Au lieu de simplement la vivre ? Aussi, arrête donc dès maintenant de penser. Va et vis.
Gemme : Ego / Lanterne : Attachement