Mulholland Drive ou le cinéma selon David Lynch...

Oh nom de nom quelle prise de tête!.. Des mois après l'avoir vu je ne comprend toujours pas le fin mot de ce film absolument, totalement, à 100% "lynchéen"... Je sais ce que tout le monde dit et qui m'avait semblé assez clair à première vue, que les deux premiers tiers de l'action (voire les trois quarts: pas fait le calcul...) ne sont qu'un rêve et que la dernière partie est la réalité... Mais au bout de deux minutes je me suis mis à douter et aujourd'hui je suis assez sûr que c'est en fait beaucoup moins facile que ça. J'y reviendrai...


Une chose est certaine: j'ai été envoûté et hypnotisé par la beauté de ces images, de cette musique, de cette histoire irracontable mais dans laquelle l'émotion est patente. Il faut dire que j'aime beaucoup le style de David Lynch et que j'accepte donc volontiers cet univers à la fois onirique et terrifiant, pouvant passer de l'émotion pure au fou-rire le plus méchant avec une recherche esthétique de chaque instant confinant souvent à un certain maniérisme que son audace pardonne, comme les instants de morbidité putride ou de sensualité purement métaphysique n'ont jamais rien de pornographique en s'intégrant dans l'ensemble comme les solistes audacieux d'une symphonie dont la dissonance est peut-être la plus belle harmonie...
La beauté et le jeu de Naomi Watts et Laura Harring résument et justifient à eux tout seuls ce film d'où on peut dégager peut-être juste deux constantes indiscutables, voire à l'extrême rigueur trois: l'action se passe à Hollywood et les deux personnages principaux sont amants (ou l'étaient, ou le deviennent: on n'en sait rien...); à la rigueur on peut dire qu'une grande violence est archi-présente...mais on ne sait pas bien où elle se trouve. L'explication la plus couramment donnée est qu'elle fait partie du personnages de Naomi Watts (je ne dirai pas son nom: d'une partie à l'autre les noms changent...) et qu'elle se laissera entraîner par elle au point de souhaiter (d'obtenir? ça c'est tout sauf sûr, même pour ceux qui considèrent cette partie comme la "réalité"...) la mort de son amante avant de...mais où est-ce que je vais moi? Je n'y crois pas! ce sont des sornettes! Comment pourrait-elle rêver de choses qu'elle ne connaît même pas et dont elle n'est même pas actrice? Pourquoi ce monstre hante-t-il les deux parties de la même façon? Quel crédit donner aux visions sorties manifestement d'un délire? Et cette boite bleue, l'objet le plus important du film, est présent tout le temps lui-aussi, qu'en fait-on? Allons! ce n'est pas parce que c'est plus "sale" et plus pessimiste que c'est la réalité!..


Alors qu'est-ce? Et surtout que fait le personnage du cinéaste? Je pourrais m'attarder sur ses scènes absolument fascinantes (et qui "échappent" aux deux personnages principaux, notons-le...) mais selon moi ce personnage est un peu à-part...et il ressemble (dans une certaine mesure) à David Lynch lui-même, exerçant son métier et se montrant avec beaucoup d'humour et d'auto-dérision: ce sont des scènes "à part" qui rentrent dans la logique de chaque histoire mais avec une espèce de volonté "décalée" et propre le rendant pour chacune inaccessible...


Et je vais oser le coup et dire que, pour moi, la seule scène "vraie" de ce film est...la plus irréaliste en apparence: celle du théâtre où, sont les yeux d'une mystérieuse femme dominant les loges (qui conclura le film en signant son clap final), Laura Harring et Naomi Watts écoutent en pleurant ce spectacle où "tout n'est qu'illusion", et ce juste après avoir fait l'amour pour la première fois... Car c'est là que le récit "bascule", que la boite bleue est ouverte et que le film change du tout au tout. Pour moi ce basculement n'est pas la fin du rêve et le début de la réalité mais (je suis peut-être un optimiste, peut-être un intello invétéré, qu'importe...) le passage d'un rêve à l'autre: à l'espoir de celui de Naomi Watts succède la peur de celui de Laura Harring (les deux, dans le leur, se voient [relativement] heureuses mais ont peur de ne pouvoir être là quand leur amante en aura besoin et révèlent ainsi les failles qu'on voit toujours mieux chez l'autre); leur couple, embarqué dans l'espoir tourmenté et mafieux d'Hollywood survivra-t-il? leurs larmes montrent qu'elles doutent mais leurs mains serrées donnent de l'espoir...


Alors "silencio..." comme dit la dame de la loge dans l'ultime image: ce film se prête à toutes les interprétations, et je suis certain que personne ne détiendra LA vérité: le prétendre serait injurier le travail d'orfèvre de l'inimitable David Lynch, père de tant de perles "inclassables" et qui dans ce film se rapproche énormément de sa seule oeuvre télévisuelle: Twin Peaks. Mystérieux, "planeur", opaque jusqu'à en être incompréhensible, Mulholland Drive est un film d'esthète et d'intellectuel mais il réussit à n'être jamais "lourd" et il est d'une sensibilité (donc d'une humanité) aussi étrange que débordante qui le rend en fin de compte profondément émouvant jusque dans ses parties les plus délirantes... Unique!

Sudena
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le 3 sept. 2016

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