Ne comptez sur personne pour juger Mulholland Drive : n’écoutez pas les arguments tonitruants des détracteurs ni les explications ruisselantes des énamourés. Ce film est un cadeau empoisonné, un piège de cellulose, une pique cynique d’un David Lynch plus pervers que jamais.

Si j’emploie ce terme, croyez bien que ce n’est pas pour désigner la magnifique fusion des deux étoiles alors révélées mais bien pour caractériser le travail d’un maniaque, poussé presque trop loin pour le simple objet que peut être un film.

Beaucoup d’entre nous ont pu se sentir torturés, insultés ou simplement vexés en regardant Enemy, Inception, Shutter Island ou même 2001 sans en saisir tout le sens. Certains réalisateurs aiment sentir le doute croître dans une salle de cinéma, ce doute lancinant qui implose sans violence avec le dernier fondu au noir et qui laisse une couleur étrange sous les paupières de leurs victimes. Lynch n’est pas de cette espèce, du moins pas pour Mulholland Drive.

Ce film est une invitation. Une invitation à ne pas céder aux facilités du Web collaboratif et à ne pas se satisfaire d’une vision onirique et surréaliste d’une histoire d’amour. Lynch l’avouera lui-même, « Mulholland Drive does tell a coherent, comprehensible story », ce qui ne laisse plus aucun doute : le premier visionnage n’est pas suffisant.

En effet, si le spectateur averti appréciera sans doute la mise en scène irréprochable du grand monsieur à la houppette (la musique venant ici taquiner l’éloge fait d’ordinaire à l’image du plasticien), il s’apercevra sans doute qu’il est arrivé à un croisement et que quelque chose manque à son plaisir.

Certains opteront pour la raison, celle qui pousse à penser que le film retrace une psyché meurtrie par l’amour, tandis que d’autres se piqueront au jeu proposé par le réalisateur et ouvriront d’une clef bleue la fameuse boite de Pandore. Il leur faudra ainsi plusieurs heures, beaucoup de patience et certainement autant de papier pour reconnaître tous les indices, décrypter tous les symboles et assembler enfin un puzzle qui s’annonce grandiose.

Tout juste évadé des collines californiennes et encore fiévreux, je ne saurais vous parler de mise en abyme, de rapport au réel ni même de symbolique des rêves comme bon nombre de mes amis, mais je peux vous inviter à faire ce parcours solitaire et à découvrir comme moi les saveurs d’un casse-tête qui s’annonce délicieux. Cela prendra peut-être des mois, voire des années, mais il me tarde de pouvoir reconstituer cette grande fresque cinématographique, ce long chant polymorphe dont le cœur s’étouffe dans un dernier souffle tiède : Silencio…
Oneiki
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le 16 janv. 2015

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