Music
5.8
Music

Film de Angela Schanelec (2023)

Un profil lumineux et régulier semblable aux figures minutieuses de Gustave Moreau se découpe sur un vaste paysage. L'horizon ocre est saisi entre des oliviers noueux et le souffle marin. L’atmosphère au goût de sel évoque un pays pauvre et archaïque.


“Le mythe d’Oedipe me sert à créer un film”, déclare la réalisatrice. Pourtant, nulle trace ici d’inceste ou de parricide. Dans une esthétique épurée, le récit antique se fond dans une fable contemporaine qui forme une étrange création.


Les structures millénaires de la tragédie se sont fondues dans l’imagination. L’auteure fait preuve d’audace en débarrassant l’histoire d’Oedipe de sa grille de poussière freudienne. Le mythe est reconsidéré au statut de ruine dont il est possible d'apercevoir des fragments épars et pleins de mélancolie.


L’origine du nom du héros, issu du grec ancien Οἰδίπους (Oidípous), signifiant « pieds enflés », est ainsi remémorée dans une des séquences du début. Iro, au point culminant du film, dans un mouvement irréversible s’inscrit dans les pas du funeste destin de Jocaste. Le spectateur est renvoyé au rôle d’archéologue dans une dimension romantique et contemplatrice.


Music est une invitation à la flânerie et un jeu d'herméneutique où se mêlent références au passé et inventions. C’est en cela une œuvre moderne, adepte des principes prononcés par Pasolini en 1965 à Pesaro. Angela Schanelec fait un “cinéma de poésie” en employant les images comme une langue qu’elle charge de significations. Elle élabore de la sorte un style personnel croisant le rêve, la mémoire et la fiction.


Georges Didi Huberman qualifie l'œuvre de Pasolini de “cinéma de survivance”, soulignant la confrontation directe d’une “énergie vitale” à “la disparition des choses ou des êtres”. Cette dynamique à la croisée entre des temporalités fracturées et une sensibilité en éveil cerne particulièrement Music et ses filiations.


Il faut toutefois ajouter à cette violence crue et silencieuse la nuance d’un œil méditatif. Ici, la force du destin suit le calme sillon d’une profonde quête d’harmonie. Si les commencements du film illustrent la dureté d’un statut infantile, au sens premier d’in-fans, signifiant “non-parlant”, l'éloquence simple du titre de l'œuvre apparaît dans une fin impressionniste baignée de musique.


Music est d’une beauté ondoyante, comme un tissu entre cinéma, théâtre et poésie. Dans une esthétique douce-amère, cette création intensément synesthésique offre un voyage intime entre des histoires morcelées et mélodieusement réunies.


Site d'origine : Ciné-vrai

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7
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le 24 mars 2023

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