Quelle belle surprise que ce film.
Je viens de le découvrir dans le cadre d'un cycle de son réalisateur, Tay Garnett, à la cinémathèque. Ne connaissant de lui que "le facteur sonne toujours deux fois" et à la vue du pitch du film, je m'attendais au moins à un film policier, voir un film d'espionnage... Après tout 1942, on est en plein dedans.
Et je tombe sur une comédie. Et une comédie, très réussie. C'est drôle d'un bout à l'autre et dans une mise en scène virtuose.
Après renseignement, il se trouve que le film est produit par Harold Lloyd, ça force le respect !

Avant de parler du film, je dois présenter le héros, ou plutôt l’anti héros.
Il se nomme Kay Kyser et si ça ne vous dit rien, c’est normal, il est très peu référencé en France, même Wikipédia France n’a pas entendu parler de lui…
Kay Kyser est ce qu’on appelle aujourd’hui une superstar oubliée. C’est un chef d’orchestre qui connut son heure de gloire dans les années 30 en performant dans un club de Chicago, (à l’époque ces shows étaient souvent retransmis en direct à la radio, souvenez-vous du fantastique « Radio Days » de Woody Allen) et dégomma tous les records à travers les hits de son orchestre. Pensez donc, onze numéros 1, trente-cinq disques dans le top ten… à l’époque ils étaient plus célèbres et plus adulés que le Glenn Miller Orchestra ou que la bande de Benny Goodman.
Fin 37 Kay Kyser, surnommé le « Ol’ Professor of Swing » a sa propre émission de radio « Kollege » mêlant musique et gags qu’il anime avec son orchestre. C’est un carton.
Lui et sa bande, au faîte de leur carrière, sont alors appelés sous les drapeaux Hollywoodiens. Ils feront sept films ensemble entre 1939 et 1945, celui-ci, « my favorite spy » est le quatrième.
Leur deuxième film (que je recherche activement) « you’ll find out » est le seul film de l’histoire du cinéma à réunir Boris Karloff, Bela Lugosi et Peter Lorre… une belle affiche !!
Je ne vais pas m’étendre sur tous les membres de l’orchestres, chanteur, chanteuses et musiciens mais juste dire un mot sur celui qui se fait le plus remarquer ; Ish Kabibble, de son vrai nom Merwyn Bogue. Son nom de scène vient d’une chanson yiddish qu’il chantait: « Ish Ga Bibble », ce qui veut à peu près dire « devrais-je m’inquiéter ». Et quand on le voit, y’a de quoi s’inquiéter. Ce personnage un peu idiot et lunaire, cherchant dans quel sens mettre des raquettes de tennis pour qu’elles rentrent dans une valise trop petite pour elles, attire immédiatement la sympathie et le rire. Il préfigure le futur personnage de Jerry Lewis, dans l’attitude, le mouvement et le physique. Chacune de ses apparitions font mouche.
Kay Kyser aura une carrière brillante sur près de vingt ans, apparaissant même dans les comics books de Batman et Robin à la fin des années 40. Son show radio « kollege » sera adapté à la télévision sur NBC mais sera annulé en 1950 au bout d’une ou deux saisons. Kyser se retirera alors de la vie publique, l’époque change, la jeunesse aussi, le rock n’roll arrive. Et tout le monde l’oubliera…

Revenons au film.
Kay Kyser (toujours dans son propre rôle) campe une célébrité qui vient de se marier. Dès ce moment la société n'aura de cesse de l'empêcher de consommer ce mariage. Lui ne pense qu'à ça et n'entend rien aux histoires d'espionnages dans lesquels il est plongé bien malgré lui... Kyser veut bien être patriote, mais il demande avant tout qu'on lui laisse un quart d'heure tranquille avec sa femme, et c'est avec une grande maladresse et l'esprit totalement ailleurs qu'il va aller au bout de sa mission.
Je vais faire simple ; ça fuse dans tous les sens. Quiproquos, malentendus, mensonges, gags burlesques, gags subtiles à peine visibles, et un sens du dialogue proche de la perfection.
Les gags s'étirent jusqu'aux limites de ce que l'on peut en tirer, à l’exemple de celui du caniche et du journal. Commencé de manière anodine, ce gag s’étend, devenant de plus en plus hilarant à mesure que Kyser s'enfonce dans le malaise et dans le mensonge, pour notre plus grand bonheur.
Les dialogues sont ciselés comme des diamants, souvent proche de l'absurde et du bon sens, il y a toujours le petit mot de la fin, incroyable de justesse, cerise sur le gâteau. Ça touche juste dès la première scène dans un parc où Kyser interromps la conversation de deux vieux sur un banc, deux vieux qui rappellent étrangement ceux d'"en attendant Godot" mais 15 ans avant la création de la pièce.

C’est un exemple de petite comédie parfaite. C’est bien écrit, c’est bien joué, c’est bien tourné, c'est plein d'ellipses, de gags visuels, de subtiles touches d'humour noir et de blagues intelligentes... C'est fin.
Vraiment impeccable.
Je soupçonne Woody Allen d'avoir vu ce film un paquet de fois tant Kay Kyser est proche du personnage qu'il créera plus tard. Une des scènes à l'armée ressemble plan pour plan à un gag qu'il réinventera d'ailleurs dans "Woody et les robots" et Kyser avec son galurin et ses petites lunettes ne pouvaient m'empêcher de penser à Allen dans "Le sortilège du scorpion de jade" ou dans "Meurtres mystérieux à Manhattan". Sans reparler de « Radio Days ».
Ce film, qui doit être la matrice de 50 ans de comédies à venir, est injustement méconnu, merci à la cinémathèque de nous faire découvrir de telles pépites.
Quantum
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 28 mars 2013

Modifiée

le 30 mars 2013

Critique lue 169 fois

1 j'aime

Quantum

Écrit par

Critique lue 169 fois

1

Du même critique

Match Point
Quantum
9

Pour en finir une bonne fois pour toutes avec les conneries que j'ai pu lire sur ce film.

"Qu'est ce que tu veux que je te dise ? Je sais... J'étais le gosse du quartier qui racontait des blagues. Tu vois, nous vivons dans une société qui valorise énormément l'amuseur. Tu vois ? Et d'un...

le 13 mai 2013

14 j'aime

Prophecy
Quantum
8

Je prophétise un grand manga.

Je viens de littéralement bouffer le Tome 1 de cette merveille. Comment en parler sans rien raconter ? C'est pas du Shonen, c'est assez adulte. C'est pas de la fantasy, c'est pas du Death Note. Ca se...

le 8 mars 2013

14 j'aime

1

Subway
Quantum
4

Mauvais millésime

Je viens de revoir subway sur je ne sais plus quelle chaîne... Un cinéaste, c'est comme un vin. Certains doivent attendre quelques années avant d'atteindre leur plein potentiel. D'autres doivent être...

le 10 mars 2013

13 j'aime

1