[Critique contenant des spoilers]


Benoît est prêt à tout pour échapper au service militaire. Pour un étudiant en histoire de l’art, on imagine en effet que l’expérience peut être douloureuse. Le psychiatre lui déconseille de jouer les drogués ou les fous, trop connu. La dépression ça peut passer, alors il lui colle des médicaments susceptibles de lui donner le côté zombie qui peut faire mouche. Comme ça ne marche pas, il se taillade les veines, les grands moyens. C’est alors qu’il apprend qu’il est séropositif.


On ne saura jamais comment il a été contaminé puisque Benoît, contrairement à ce qu’il a inscrit sur le questionnaire de l’armée, n’est ni drogué, ni hémophile, ni homosexuel, les trois principales sources de contamination. En 1995, être séropositif c’est être voué à une mort certaine. Dès lors, le film pose la question : que feriez-vous si vous vous saviez condamné(e) ? Le temps qui reste, de Ozon, reprendra ce sujet.


Beaucoup de gens sans doute « brûleraient la chandelle par les deux bouts ». C’est ce que va faire d’abord Benoît, guidé en cela par Omar, un petit dealer rencontré en cellule, incarné par le très convaincant Roschdy Zem. Drogue d’abord : il y a Hélène, l’héro, et Caroline, la coke. Dans une longue scène, peut-être la meilleure du film, Omar, déjà passablement allumé, explique à son nouveau copain la bonne façon de se faire une chicha (c’est ça ? je ne suis pas spécialiste). Benoît ne tarde pas à être tenté. Mais ça coûte, alors au cours d’une soirée il tape tous ses potes pour récolter les 1 000 F nécessaires. Pas très réaliste, les 100 à 150 F que chacun donne presque spontanément mais bon… quoiqu’il en soit, Benoît peut tenter l’expérience. Le cinéma montre invariablement la déchéance physique des junkies, j’aimerais bien voir un jour ce qu’il se passe dans la tête de quelqu’un qui se pique ou sniffe, plutôt que de subir toujours les mêmes scènes, montrant le héros la tête dans la cuvette des chiottes. Mais le cinéma de Beauvois surprend rarement par ses partis pris radicaux.


Benoît s’essaie aussi à l’homosexualité, comme pour justifier a posteriori sa séropositivité. Coucher avec le vieux et grassouillet Jean-Paul (Jean Douchet, qu’on s’amuse de trouver là) « pour voir ce que ça fait » ? C’est de nouveau moyennement crédible. Ensuite ce sera le sexe tarifé en trio, dans une scène où Beauvois a choisi de ne rien cacher, fût-ce dans le reflet du miroir, ce qui valut à son film une interdiction aux moins de 16 ans.


L’impression qui se dégage de toutes ces expériences est, pour Benoît, la déception : se droguer le rend malade et il ne parvient pas à jouir alors qu’une professionnelle s’active pourtant consciencieusement sur son cas. Alors avec sagesse Benoît revient à ses fondamentaux : l’art. On le voit analyser brillamment devant d’autres étudiants un tableau de Delacroix, qui parle du romantisme comme exaltation du rapport Eros-Thanatos – on comprend l’allusion à son cas personnel. C’est donc là qu’il ira chercher son destin : dans le pays de la peinture, l’Italie.


Une expédition réussie à Amsterdam lui en a donné les moyens : notre homme a 50.000 F en poche, de quoi voir venir. A la terrasse d’un café, une jolie fille lui adresse la parole, coup de bol, elle aussi est passionnée par l’art. Et célibataire. Et immédiatement en pâmoison devant le ténébreux Benoît. Elle est pas belle la vie, finalement ? Avec cette idylle, le film tombe un peu dans le gnangnan : on fait l’amour fougueusement, on rit en faisant la cuisine ensemble, on pleure face à une fresque dans une chapelle. (Ce genre de scène sucrée doit être soigneusement amené : on a cela dans Escalier C par exemple, mais tout le film a préparé ce moment ; ici, c’est assez racoleur.) Ce qui n’empêche pas quelques beaux plans : le corps de Chiara Mastroiani filmé comme une sculpture, la même Chiara au milieu de tournesols, Benoît descendant le grand escalier de la villa Médicis à l’ombre de hauts arbres.


Cette longue errance s’achèvera en Croatie, pour faire comme Lord Byron qui, le film nous l’apprend, choisit de prêter main forte aux Grecs pour finir ses jours. Parti chercher les indispensables préservatifs, s’étant heurté à une pharmacie close, Benoît retombe dans la drogue avant de prendre le premier train qui part. Des boots et un casque bleu nous indiquent sa destination. Benoît n’aura pas échappé à l’armée, mais ce sera cette fois son choix, son engagement, ce qui est très différent. Pour recruter, son chef a une méthode infaillible : il fait mine de tirer au candidat une balle dans la tête ; s’il ne cille pas, il est enrôlé. C’est ce qui se produit avec Benoît, qui n’a pas oublié qu’il doit mourir. Il terminera troué de balles (dans un ralenti discutable). Rideau.


Un scénario très lisible, une narration bien menée, quelques belles scènes. Des acteurs convaincants aussi : Xavier Beauvois, dans le rôle principal, mais aussi Bulle Ogier dans une scène superbe où elle reste interdite face à son fils hospitalisé. Le film se tient assez bien, même s’il ne brille pas par l’originalité de son traitement (à mentionner aussi : une musique extra-diégétique un peu envahissante, et trop de scènes où les personnages tirent sur leur clope). Du cinéma sans génie mais de bonne facture, étiage que Beauvois confirmera avec nombre de ses films suivants.

Jduvi
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le 9 janv. 2022

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