Référence dans le domaine du documentaire, Nanouk l’Esquimau ne l’est pas seulement pour avoir popularisé la glace du même nom, pensée au départ comme un joli coup de com pour accompagner les projections, avant de connaitre la longévité que l’on connait.


C’est, avant toute chose, un défi technique d’ampleur, qui voit l’explorateur Robert Flaherty (qui assistera Murnau dix ans plus tard dans des contrées moins froides avec Tabou) un premier essai détruit dans un incendie, et se posant toutes les questions nécessaires, au fil de ses mois de cohabitation avec les inuits, sur la manière la plus authentique de rendre compte de leur existence. Qu’on pense simplement au fait que la caméra est forcément fixe, sur un trépied, et l’on comprendra, au vu des séquences proposées, les différentes contraintes et nécessités de mise en scène de ce quotidien laborieux…


L’essence même du document irrigue ce long métrage, qui entreprend, par le menu, de décrire la vie de ces habitants du bout du monde, et dont chaque geste se pare pour le reste de la planète d’un exotisme ahurissant : dormir, se déplacer, s’habiller, chercher à se nourrir ; survivre, en somme. Tous les clichés qu’on croyait presque réservés au folklore des livres d’enfant prend ici vie de la manière la plus authentique : le trou dans la glace pour pécher, l’igloo, les fourrures, les traineaux tirés par les chiens et ces étendues de glace à perte de vue, où la seule nourriture sera celle issue d’une chasse rare et difficile.


L’admiration du réalisateur pour ces guerriers est palpable à chaque plan, tout comme le désir très didactique d’expliquer de la manière la plus claire qui soit les savantes méthodes mises en place pour s’en sortir, par le recours abondant aux cartons (qui vont jusqu’à retranscrire le cri du morse harponné !), et une durée des séquences qui donne toute sa mesure à la difficulté des combats : avec un morse, donc, à ramener sur le rivage, un phoque bien décidé à rester sous la glace, ou simplement pour rester alerte alors que le froid transit femmes, enfants et chiens.


Mais le film l’emporte définitivement par l’humanité intense qui s’en dégage. Nanouk, irradie tous les plans par un sourire qu’on retrouve chez sa famille, enthousiaste à l’idée de partager cette vie, qu’il présente comme une évidence qu’il ne s’agit pas de remettre en cause. Une force d’autant plus tragique qu’au moment de la projection du film à travers le monde, soit deux ans après le tournage, le public savait que le protagoniste avait fini par succomber de froid une nuit de tempête.


C’est là que se joue le véritable choc des cultures : lorsque l’enthousiasme béat du spectateur face à cette nouveauté qu’est le cinéma s’accompagne d’une humilité tout aussi grande devant les exploits d’un héros qui s’ignore.

Sergent_Pepper
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le 29 sept. 2020

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Sergent_Pepper

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