Il est particulièrement triste de constater la dégradation que peut subir un chef-d’œuvre lorsque son créateur ne parvient à en faire le deuil. Koyaanisqatsi était, en 1983, une indicible réussite, un montage bouleversant d’images du monde en alchimie avec la musique de Philipp Glass. Powaqqatsi, six ans plus tard, accusait déjà des signes de fatigue qui auraient clairement dû alerter Godfrey Reggio sur la nécessité d’en rester là. 20 ans après ses débuts, il réactive pourtant la machine, bien décidé à l’ancrer dans sa nouvelle ère, celle du numérique. Le principe ne change pas : un montage sans commentaire, toujours avec Glass, donnant à voir le monde tel qu’il se montre, mais désormais revisité par la magie arty du traitement de l’image.
Tout est raté ici. On ne s’attardera pas sur la laideur générale des effets, la beauté n’étant peut-être pas l’objectif premier du réalisateur. Il n’en demeure pas moins que cette visite de la modernité semble particulièrement désuète, nous rappelons ces génériques d’émissions des années 90, grossièrement recolorisés.
Sous l’égide d’un photoshop low cost, Reggio se paie en plus le luxe de perdre toute la prudence didactique qui avait marqué son travail initial : au milieu du grand n’importe quoi, sorte de zapping informe d’images d’archives et d’animations improbables (circuits imprimés, structures géométriques, en gros, des écrans de veille de nos premiers PC couleurs d’il y a vingt ans…), un téléscopage d’images nous véhicule un message d’une lourdeur sans nom. Défilés militaires à répétition, associés aux foules enthousiastes de concerts de musique ; jonction entre monde de la finance, casino, pièces de monnaie et médicaments ; alternances d’images documentaires sur des violences guerrières et de jeux vidéo…
La paresse est totale, qu’elle soit esthétique ou discursive. C’est d’autant plus triste qu’on en vient à se demander si l’on n’a pas été abusé par la première émotion qui nous fit découvrir son travail. Le plus sage consiste sans doute à oublier cet enlisement et rester dans le souvenir ému d’une œuvre qui fut, 20 ans auparavant, originale et marquante.