On le sait, Noce Blanche est avant tout le film du succès et des révélations : le public se rue dans les salles, les récompenses tombent, Vanessa Paradis devient une vedette du grand écran et Brisseau, quant à lui, obtient une notoriété nouvelle au sein du paysage cinématographique français. Mais faut-il y voir pour autant le signe d’une certaine résignation de la part d’un cinéaste connu pour être transgressif et iconoclaste ? Fort heureusement, non ! Car sous ses dehors de “film grand public”, Noce Blanche demeure fidèle au style de son auteur en confrontant la réalité avec les idéaux ou croyances, l’identité sociale (vie en province, milieu scolaire...) avec celle que l’on murit à l’intérieur de soi (fantasme, intérêt mystique, quête existentielle).


Evidemment, en traitant de la passion naissante entre un homme d’âge mûr et une jeune nymphette adolescente, Brisseau n’évite pas la comparaison avec le roman Lolita de Nabokov, ou encore avec sa version cinématographique signée par Stanley Kubrick. Pourtant, Noce Blanche n’évolue pas tout à fait dans le même registre, puisqu’il s’agit moins de questionner la morale, en étant ironique et subversif, que de développer une véritable réflexion sur le sens de la vie.


Des intentions que le film expose dès la première scène, en plaçant la philosophie au cœur de la relation entre les deux amants : c’est lors d’un cours de philo que la rencontre a lieu, c’est en travaillant un exposé sur cette même matière que l’attirance réciproque va naître. Contrairement aux romances classiques, “l’extérieur” ne séduit pas (allure négligée, réalisme désolent...), tandis que “l’intériorité” des personnages va se réenchanter : François se sent revivre en succombant à la passion ; Mathilde, quant à elle, dépasse ses désillusions (sur le plan familial, affectif, etc.) et se met de nouveau à croire, en la vie, en l’homme, en l’amour ou en Dieu. Voir la présence de Dieu ou de l’amour, dans un monde aussi peu réjouissant que le nôtre, tel est le fil directeur du film. Comme le sous-entend, d’ailleurs, le passage du livre lu par François à Mathilde : “Dieu attend comme un mendiant qui se tient debout, immobile et silencieux, devant quelqu'un qui peut lui donner un morceau de pain. Le temps est l'attente de dieu qui mendie notre amour...”.


Comme à son habitude, Brisseau va opposer la vérité mystique à la vacuité du réel, afin de nous interroger sur le sens que l’on veut donner à l’existence. Mais contrairement à ce qu’il a pu faire précédemment (Un Jeu Brutal, De bruit et de fureur), il ne se laisse pas aller à l’onirisme ou au fantastique, donnant à Noce Blanche l’allure d’un film un peu plus “classique”. Tout réside en fait dans la manière de filmer Mathilde ou les moments amoureux : alors que l’essentiel du film se déroule dans un réalisme social des plus désenchantés, l’image va soudainement s’illuminer à l’approche de l’amour. Ainsi, la nature va devenir idyllique lorsqu’une balade se fera romantique, les corps vont échapper à la pesanteur du milieu lorsque les sentiments vont apparaître.


Même si, parfois, Brisseau se montre trop didactique (les cours de François sur l’inconscient, la lucidité verbalisée de Mathilde), il parvient à délivrer subtilement son propos en laissant parler ses images (isolement des corps dans l’espace ou dans le cadre, pour exprimer la scission avec le reste du monde...) ou en multipliant les bonnes idées scénaristiques (le parallèle fait entre la philosophe Simone Weil et le personnage interprétée par Vanessa Paradis). La seule défaillance notable sera le changement de registre qui s’opère à mi-parcours, quand la romance va s’effacer au profit d’un thriller aussi impromptu que peu convaincant. Fort heureusement le final va de nouveau privilégier le pouvoir évocateur de l’image, en conjuguant la passion à la mélancolie : lorsque le soleil s’efface, la solitude envahit l’espace. Il ne reste plus qu’à scruter les cieux pour y déceler la présence d’un dieu qui viendrait, à son tour, mendier notre amour...


(6.5/10)

Procol-Harum
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le 2 déc. 2021

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