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Noé
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Noé

Film de Darren Aronofsky (2014)

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L'intelligence de Darren Aronofsky ici est de se prendre lui-même à revers.

On le sait depuis Pi (peut-être avant, même, mais c'est avec ce film que j'ai découvert le réalisateur et sa fascination du mythe, comme mystère et réponse aux énigmes du réel).

Le Diable est dans les détails. Dieu aussi, du coup. Car si ses films ne sont pas nécessairement binaires, et ses "héros" rarement monodimentionnels, il pratique en revanche quasi systématiquement l'art du film à postulat.

On aurait donc pu s'attendre à un Gentil Dieu, un Gentil Noé accomplissant la Justice Divine, donc inexorablement Juste, et des méchants Méchants simplement méchants...

C'est un peu le travers des films bibliques, d'ailleurs, généralement. Justifier l'Injustifiable, rationnaliser le symbolique, bref, se placer sur un plan narratif qui ne sied pas au Mythe.

Et étonnamment, Darren Aronofsky, loin de se prendre à son propre piège, ne se pose ni en télévangéliste, ni en exégète. A croire qu'il a choisi lui-même les armes qu'il poserait dans les mains de ses détracteurs...

Au lieu de se laisser aller à son amour obsessionnel du mystique, du mystère de la vie et de la Création (même s'il ne peut s'empêcher de dénoncer certaines erreurs de traductions de l'Ancien Testament, le Serpent étant à l'origine, par exemple, issssssu d'un caractère qui signifie "le mouvant" (méga raccourci, j'en conviens, mais qui révèle bien des choses pour qui souhaite creuser (et que celui-ci se munisse de quelques pelles de rechange, vu les angles d'analyse qu'offre cet Ancien Testament, l'axe littéral n'apportant que peu en comparaison de l'étude Talmudique, voire même simplement historique) ) ), il adopte une attitude quasi littérale. Oui, celle que je dénonçais quelques lignes plus haut concernant ses prédécesseurs!

Mais ainsi, du récit biblique, symbolique, il tire un film d'action, un film fantastique, un film catastrophe, un drame, évitant l'écueil du "ça ne s'est pas passé comme ça" des historiens, le "ça ne signifie pas ça" des différents théologiens des différents courants des différentes religions (allant jusqu'à ne pas donner certains noms pourtant potentiellement importants), pouvant ainsi se permettre quelques entorses à la Règle et placer des considérations personnelles et plutôt contemporaines, comme le véganisme (qui, a priori, ne se trouve pas dans le Texte Sacré, l'Humain étant plutôt invité à faire se faire berger, traiter les animaux avec bienveillance pour qu'eux aussi procréent, afin de pouvoir se faire miamer, esquiver ou justifier des épisodes au moins troublants de l'Ancien Testament (l'invention du moonwalk puni quasiment de mort par Noé envers ses enfants lorsqu'ils le voient par erreur à poil parce qu'il s'est pris une Murge Epique (bon, ça ne vaut pas la petite phrase dans la Bible qui décrit que Moise, après être monté jusqu'à épuisement sur le mont Sinai, se fait tranquillement agresser par l'esprit de Dieu toute la nuit (c'est dans l'Ancien Testament, il suffit de lire l'épisode des Tables de Loi, une poilade assurée!), mais c'est pas mal, et traité avec pudeur et intelligence par le réalisateur, là où on l'aurait plutôt imaginé se lâcher avec ferveur), bref, ne pas se vautrer dans les tentatives d'explications littérales d'un texte symbolique (et en partie apocryphe), mais plutôt s'approprier un texte, en tant que texte, et en faire un scénario faisant écho au mythe plus qu'au myste, suffisamment proche pour qu'on puisse comprendre les enjeux, suffisamment à distance pour ne pas être foudroyé sur place.

En découle un bon film hollywoodien à gros budget, bien violent, avec un petit message ponctuel, une poussée mystique çà et là, des effets spéciaux plutôt heureux, et un Aronofsky plus centré sur le drame humain de son "héros" que sur ses propres velléités d'exégète, avec un Noé plus torturé qu'il n'y paraît a priori, avec comme résultat un croisement impie et pourtant à propos entre une approche hollywoodienne et un conte philosophique plus qu'une allégorie religieuse. Danse réussie sur le fil d'un rasoir pourtant aiguisé pour Aronofsky, loin d'être son meilleur film, ni le plus personnel, mais très loin d'être la bouse ou le scandale annoncé (voire espéré).

Si vous cherchiez à brûler des cinémas et à jouer les bigots de quartier, comme dirait Mulder, la Vérité est Ailleurs.

toma_uberwenig
6
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le 8 oct. 2023

Critique lue 43 fois

toma Uberwenig

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