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C'est au détour d'une recherche d'un film sur ma liste de visionnages que je suis allé à l'instinct, et surtout par hasard, vers la première production de Spike Lee. Vu et revu (et parfois même trop vu) sur la scène Black Power qui est son fer de lance, je me suis laissé tenter par son premier long-métrage She's Gotta Have It (SGLI), me reposant sur les avis dont on m'avait fait part sur le film. Au coin de cette critique plus ou moins inutile en vue de la quantité dont regorge déjà Sens Critique, je trouve pertinent ici pour mon compte d'aborder l'importance du narrateur, notamment omniscient, et de son rôle dans le "ciné-reportage" pourrions-nous dire dans SGLI.


Partant d'une histoire souvent basique aux premiers abords dans ses films, Spike Lee nous délivre ici une lecture plus avancée de la pensée féminine noire en pleine émancipation en ces fins des années 80. Ainsi, nous y retrouvons ses chagrins d'amour, tant différents de ses pairs masculins, le plaisir sexuel presque maladif poussé à ses extrèmes telle la soif de la liberté, la curiosité bi et surtout, l'identité noire d'une femme dans un Brooklyn profondément associé ( et surement à jamais ) à la population afro-américaine. Nous le comprenons bien ici, l'histoire n'est finalement pas le centre du sujet, il n'est qu'une optique par laquelle Spike nous immerge dans sa lecture d'un monde social où l'Identité Noire est en pleine reconstruction. C'est dans cette logique que nous sont présentés 3 profils d'Hommes aux identités volontairement extrémistes, dont tous, malgré leurs différences et différents mutuels, se raccordent dans un rapport commun trivial qu'est l'amour et le sexe pour la même personne. S'en suit donc une sorte d'étude sociologique sous forme de reportage où nous serons amenés à entendre les 3 hommes sur leur relation avec Nola. Nous avons d'abord le riche noir, rêvant de grandeur et d'émancipation, mais vu par ses paires comme un traître un faux noir vendu au nouveau monde. Le second, issu d'une classe plus moyenne très terre-à-terre, profondément instable dans son rapport avec les femmes comme dans ce monde ; et puis le troisième, issu de la classe très populaire, vivant de trafics et ayant absorbé une forme de nouvelle culture noire heureusement ou malheureusement associée à la rue, pour le meilleur et pour le pire. Ils ont ainsi chacun une facette de l'afro-Américain sans jamais en être l'achétype. Comme le dira dans un premier temps et d'une certaine manière la conclusion de SGLI, Nola est donc une femme, noire de surcroît, qui doit trouver sa place dans ce monde en tant que femme, mais aussi en tant que noire. Et si le détail n'est pas le sujet du film, car n'ayant pas but d'éduquer ou dénoncer en nous immergent dans un réel comme un Boys N The Hood pourrait le faire, nous comprenons bien au travers des autres protagonistes que sous un semblant de vent à la Mai 68 se cache aussi une pression sociale forte bien américaine. L'argent et l'isolement sont au cœur du débat, et les nombreuses références à la culture, l'art, l'immobilier, le travail et la position sociale ne laisse pas de doute sur le sous-texte que laisse planer Spike sur le rêve américain. Dans un autre temps, plus extrapolé mais pour autant certain, la chimère, l'union de ses 3 hommes en une créature qu'a créée inconsciemment Nola laisse présager une forme d'idéal à atteindre. Ainsi, dans un monde où l'homme noir du passé n'est plus, où celui du présent n'a pas sa place ou ne parvient pas à se la faire, et dans un futur où il n'est pas mis en valeur, Spike Lee nous laisse ici une image aussi marquante que forte sur ce à quoi un noir doit se préparer et ressembler. Il s'adresse ici non pas à l'homme, mais bien une partie de la population, rassemble et veut montrer la réussite dans ce qu'elle a de plus pure, dans un amour classique, dans une vie belle, riche mais humble, un respect inaliénable envers ses semblables et surtout détenir la Liberté. Nola est finalement, au-delà d'être le cœur de l'histoire, le réceptacle de ce que la communauté féminine a vécu à cette époque et fait figure d'une certaine manière de guide d'émancipation.


Là où Spike a été malin dans SGLI, au-delà de produire un récit à l'image léchée, sensuelle, profondément érotique avec ses personnages, c'est qu'il a réussi à placer un narrateur omniscient. Ainsi, par des pirouettes entre flash-back, récits et interview, il mène avec légèreté les dialogues vers une lecture simple et claire. Nous ne nous sentons ainsi jamais perdus, nous sommes étrangement pris de court par la sincérité des personnages en interview doublés par leurs flash-back ; nous sommes tantôt d'accord, tantôt pas d'accord, mais toujours présents, ce qui nous place dans la peau de cette petite vielle que nous avons tous connus dans un immeuble. On est là, on entend tout, on voit tout, on est pris d'une curiosité malsaine à savoir qui, où, quand, comment et pourquoi. Ce qui fait de même la force de ce format, c'est justement ce vide descriptif pourtant présent dans le film. De par le format narratif, le mode de présentation et le style, nous ne connaissons rien des personnages, ni du contexte, ni du lieu de vie. Et pourtant, nous parvenons, au travers des images, d'une photographie magnifique et d'une musique d'ambiance très juste à capter un lieu, une identité et surtout une culture. Grâce à ce narrateur, peu importe finalement de savoir comment vit tel ou tel protagoniste, où et quand travaille-t-il et quelles sont ses pensées secrètes, tout nous est ramené naturellement à l'essenciel. Nous sommes collés à eux, à leur situation et leur vécu, sans filtres, comme un film naturaliste pourrait le faire (sans les artifices cinématiques bien sûr), dans une simplicité sur-efficace.


Si le film n'est pas parfait, notamment à mes yeux car j'aurais aimé un développement plus avancé des réflexions de Nola, il est inutile de préciser que ce premier shot SGLI de Spike Lee m'a marqué ! Même pas en tant que spectateur, mais bien en tant qu'homme, car finalement, peu importe le fait d'être noir ou pas, l'amour est universel et c'est ce qui fait la force du film, il est ouvert à tous et en tout temps.

21rems10
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le 7 mai 2023

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