« Nos années sauvages » est le second film de Wong Kar-Wai, réalisé en 1990. Comme souvent, le réalisateur a une certaine idée du film avant de le réaliser, et modifie ses plans au fur et à mesure. Ayant prévu un diptyque, il coupera cependant son histoire au bout d’une heure et demi, reprenant quelques idées et personnages pour ses œuvres futures : « In the Mood for Love » et « 2046 ».


Nous sommes à Hong Kong. Un jeune homme attirant et oisif séduit des jolies femmes avec lesquelles il vit des aventures passionnées, mais brèves. Refusant strictement de s’engager, il se montre de plus en plus distant et détestable, et délaisse ses conquêtes qui finissent par le quitter. Il entretient une relation tendue, complexe et conflictuelle avec sa mère, tantôt protecteur, tantôt méprisant.


Dans le même quartier travaille un jeune policier, un rêveur qui patrouille les ruelles humides et solitaires d’Hong Kong, et dont l’ambition de se faire marin a été contrecarrée.


« Nos années sauvages » fait partie de ces films dont l’évocation, la description ou le synopsis sont plus séduisants que l’œuvre, qui, malgré son immense potentiel, se révèle finalement bancale et décevante.


Le film était pourtant extrêmement prometteur. Wong Kar-Wai crée déjà ici une atmosphère moite et mélancolique, situant son œuvre dans une nuit quasi-permanente, des décors aux couleurs froides, ternes, le tout baignant dans une pluie ininterrompue. Bien que la maîtrise absolue dont il fera preuve avec « In the Mood for Love » ne soit pas encore là, cette ambiance porte l’empreinte caractéristique du talent du réalisateur.


Dans cette atmosphère lourde et enfumée, propice aux amours et aux rêves brisés, évolue tout une galerie de personnages qui fument, s’aiment et se laissent vivre. Le film s’attèle à suivre en alternance les deux rôles masculins. Tout d’abord, Yuddy, interprété par un Leslie Cheung magnétique, séducteur indolent au physique mince, frêle, au curieux charme un peu androgyne, qui dissimule sous ses dehors placides, froids mêmes, tristesse et colère bouillonnante. Ensuite, Tide, le policier joué par Andy Lau, un homme généreux qui rêve de prendre la mer. Et il y a les femmes. La sublime Su Li-Zhen (Maggie Cheung), beauté sculpturale et distante qui conserve sa dignité et sa stature malgré l’abandon et les épreuves. Elle s’oppose en cela à la flamboyante Mimi, ensorcelante et langoureuse, totalement dépassée et animée par ses passions.


Le film explore la relation mère/fils sous différents aspects.


Dans un premier temps, Wong Kar-Wai met l’accent sur la vulnérabilité de l’enfant et le rôle protecteur de la mère – et les conséquences désastreuses de l’abandon. Ce serait la raison pour laquelle Yuddy est incapable de s’attacher aux femmes. Abandonné par sa génitrice, confié à l’adoption, il vit dans la souffrance et l’incompréhension de ce geste, son comportement constituant à la fois une sorte de revanche et un instinct d’auto-protection.


Le réalisateur prend ensuite le parti d’inverser les rôles, en introduisant le policier, Tide, pour qui la nécessité de s’occuper d’une mère mourante a brisé net ses rêves de carrière dans la marine. C’est pour lui à la fois une convention sociale et un devoir moral. La relation la plus complexe est celle de Yuddy et de sa mère adoptive, Rebecca. Celui-ci la protège de l’avidité de ses soupirants – qu’il corrige violemment –, mais ne manque aucune occasion de la rabrouer méchamment.


Comme toujours chez Wong Kar-Wai, la mélancolie du passé, le souvenir, etc. sont des thèmes très présents. Et c’est un voyage qui fait avancer l’histoire (on ne peut pas vraiment parler d’intrigue ici) jusqu’à son dénouement.


En dépit de cette atmosphère séduisante et de son immense potentiel, le film ne parvient pas réellement à nous attacher aux personnages ou bien à nous immerger dans leurs histoires entremêlées. Le souci principal est un rythme franchement raté – contemplatif et lent au début, cela fonctionne, mais tout d’un coup, tout s’accélère et s’enchaîne sans grande logique. À partir du départ de Yuddy, la cohérence de l’ensemble s’effondre, et le film se précipite vers son final sans la subtilité et la puissance des premières scènes, et c’est dommage. Le problème vient peut-être des projets initiaux de Wong Kar-Wai, qui imaginait une œuvre bien plus conséquente.


Pour son second film, Wong Kar-Wai nous offre une plongée dans un Hong Kong brumeux et mélancolique, pays des songes et des amours contrariés. Le réalisateur s’attache ici à l’exploration des relations mère-fils, de leurs fêlures et de leurs répercussions. Intéressant et creusé, le propos du film souffre malheureusement d’une construction anarchique, de quelques scènes maladroites, et d’un final bien trop rapidement expédié. « Nos années sauvages » s’apparente presque à une œuvre incomplète, inachevée, mais qui pose déjà les jalons des thèmes qui seront repris avec succès par le réalisateur quelques années plus tard.

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le 19 mai 2015

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Aramis

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