Désert singulier que celui de la campagne du Catalan, désert grouillant de vie végétale géométriquement organisée par le maraîchage local. Dans ces structures parallèles Carla Simon fait déambuler ces fantômes du présent que sont les éternels résistants à la modernité. Il y a toujours quelque chose d'enfantin dans ce principe d'attachement nostalgique à la terre, à la propriété familiale qui nous a vu grandir, surtout dans ce que cela peut avoir de bourgeois. Et pour cause, le film s'ouvre sur un jeu d'enfants dans une voiture abandonnée, avant qu'une bruyante machine de chantier ne vienne briser l'enchantement en s'emparant du véhicule.

D'emblée le film pose l'ambiguïté de son propos. Si il y a quelque chose de réactionnaire dans cette volonté des personnages de sauvegarder la terre de leurs anciens, par ailleurs lieu de réguliers rassemblements familiaux, c'est bien le grand Capital, la grande distribution qui vient tuer le mode de vie de ces gens là, qui plus est pour une industrie de panneaux solaires. Ainsi l'industrie fait payer aux petites gens la réparation des dégâts écologiques qu'elle a elle même provoquée. Car il est évident que le mode de vie de ces petits producteurs, faisant leur récolte à la main, est loin de poser problème sur le plan écologique. On pourrait qualifier ce type d'action du Capital d'"impérialisme localisé".

Cet élément posé, les personnages se dessinent progressivement d'eux même. Les enfants insouciants faisant terrain d'aventure de cet environnement ensoleillé , le couple de propriétaire donnant ses dernières forces pour préserver son bien face à l'industriel dont on apprend que les parents ont été caché pendant la guerre par les parents mêmes des propriétaires des lieux, l'adolescente, attirée par le monde, en quête d'émancipation par la danse, le jeune adulte en rébellion, tiraillé entre son désir d'indépendance et son attachement aux siens, le grand père, enfin, figure canonique du crépuscule d'un temps, un corps malade s'éteignant, à petit feu, dans le même temps que son époque. Ses déambulation dans de belles scène silencieuse attestent de son lien presque charnel à sa terre. Silhouette fantomatique avançant dans la nuit, contemplant les panneaux solaires plantés dans son sol tel un pieu dans le cœur d'un monde agonisant.

Autant d'éléments certes déjà vus mais dont la cinéaste est bien décidée à mettre au service de son inventivité formelle. Alors cette forme justement, quelle est-elle ?

On comprend très vite que la cinéaste ne cherche pas à déballer une intrigue, préférant regarder vivre ce petit monde. Mais Nos Soleils avance dans une hésitation permanente entre traitement naturaliste des comportements individuels et collectifs de la société qu'il dépeint et mystification nostalgique d'un paradis perdu. Le film aurait certainement gagné en singularité si la cinéaste voulait choisir son camp. Le traitement évasif de la lutte des paysans révoltés pour se recentrer sur les liens familiaux noie les problématiques sociales abordées dans le bleu, le vert et le jaunes de ces paysages grandioses filmés de façon mythologique.

Au moins les interactions familiales ont-elles le mérite de fonctionner et d'amener de très bonnes scènes, exemplairement celle du spectacle des enfants, avec une chanson entonnée en cœur amenant au grand-père un peu de réconfort à la fin de sa vie. Mais le film n'est jamais meilleur que dans ses instants de travail collectif, où toute la famille met la main à la patte. La mise en scène alors appréhende très bien les conditions matérielles des personnages, leurs liens sociaux minimaux et fondamentaux.

Il en résulte un conte nostalgique émouvant qui, si il a peu de chance de laisser une empreinte essentielle dans l'histoire du cinéma, offre une réflexion intéressante sur la cohabitation de "patience et résignation" et de "impatience et révolte".

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le 30 janv. 2023

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