Après avoir terminé la filmographie de Lynch, c'est au tour du grand Tarkovski.
C'est toujours quelque chose de finir le parcours artistique d'un auteur, à fortiori lorsqu'il s'agit d'un des plus reconnus, c'est certainement celui qui a le plus apporté, contribué à son art (qu'il considérait encore comme un fœtus) avec une ferveur inimaginable.
Trop plein d'émotions y compris une forme de tristesse, un sentiment probablement inéluctable qu'il faut avoir la sagesse d'accepter, mais aussi le relativiser puisque nous ne sommes qu'au centième, millième, milliardième de la compréhension totale des pensées / idées parsemées à chaque seconde de ses œuvres. Un seuil (pourvu encore qu'il existe) dont ni moi, ni quiconque sur cette fichue planète souillée par la crasse frivole de l'hypermodernisme ne saisira l'entièreté de sa vision spirituelle.
Finalement, terminer la filmographie de Tarkovski n'est que le commencement. C'est maintenant que le spectateur doit faire la démarche d'aiguiser sa compréhension, voila quelque chose de positif. Et si je ne comprendrai jamais entièrement l'auteur, que ce soit techniquement, par les références insufflées, cela ne m'empêchera pas de comprendre des bribes, des pistes de réflexion toujours aussi agréablement sensorielles.
Quand on regarde Nostalghia ce qui nous frappe immédiatement, c'est son interaction avec l'œuvre testamentaire du réalisateur : Le Sacrifice. Le premier point étant naturellement le langage qui fait forcément écho au parcours du réalisateur, me semble-t-il, qui a fait le choix délibéré de quitter son territoire suite à de multiples censures qui l'exaspérèrent.
Une difficulté de communication qui se retrouvera aussi dans Le Sacrifice, respectivement l'Italie puis la Suède. D'ailleurs il y a une espèce de paradoxe à la fois on se dit que Nostalghia aurait dû sortir après Le Sacrifice et de l'autre on se dit que c'est tout aussi bien.
Il s'agit donc d'une interaction car nous avons les mêmes thématiques, la femme du poète comme celle de Offret, représentent les maux du monde moderne que le cinéaste méprise, et pour créer ce mépris il l'insère dans un monologue pour le moins horripilant, la femme du poète a le goût de l'aventure, du voyage, des choses extravagantes, mais cette recherche perpétuelle de vanité la conduira vers un acte final aussi drôle que triste.
Dans Le Sacrifice, la femme intervient de manière intempestive avec des remarques idiotes pour se vautrer vers un pathos exaspérant.
Le poète dès lors se sent rejeté, rejeté par sa terre natale que par celle qui lui faisait jadis raviver la flamme. La manière dont il présente pitoyablement l'histoire du sauveur de l'étang est assez évocatrice. On sent bien que Tarkovski est désespéré, il s'énivre dans un décor qui n'est pas sans rappeler celui de Stalker avec ces flaques d'eau étalées partout faisant ressortir la nature, sauf que dans l'un, il est dans une approche méditative, dans l'autre il est désemparé.
Ce désespoir se traduit par des actes ô combien symboliques, et ce qui s'ensuit l'est tout autant. Comme cette maison brûlée qui illustre parfaitement l'utilisation du titre, un acte qui fait suite au malheur ultime.
Un malheur qui permet, grâce à un personnage tertiaire mais d'une grande envergure, d'amorcer ensuite une atmosphère éthérée dont l'esthétisation est en accord parfaite. Personne ne peut rester de marbre face au final, à fortiori lorsqu'on connait le contexte déchirant du tournage qui vient renforcer les pensées sages de l'auteur.
Dans Nostalghia c'est assez similaire, mais plus drastique dans la négativité. Rien que la manière de désacraliser et de hisser Domenico sur le cavalier avec ces quelques individus, qui, indifférents, l'observent monologuer, prépare psychologiquement le spectateur au pire. L'intervention intempestive et assourdissante de la musique exacerbe ce sentiment à l'égard de l'acte tragique.
Pour nuancer le tout, Tarkovski présente un plan séquence des plus captivants de sa carrière, celui de la bougie naturellement que la fébrilité des mouvements, et les multiples échecs soulignent le caractère spirituel vraiment honorable (difficile de ne pas penser à la dernière œuvre testamentaire).
Bref, c'est ainsi que je conclus sa filmographie. Nostalghia ne fait que de confirmer le fait que la hiérarchisation des métrages de Tarkovski est laborieuse, vaine.
Néanmoins je peux affirmer que mon préféré du réalisateur est Stalker que je m'empresse de revoir.