C'est la grande dépression, rien à faire, et Vidor n'a pas l'âme à nous sortir une énième comédie farfelue pour nous faire oublier la situation, non, il plonge les pieds dans le plat en plein New Deal pour un film qui raconte un petit bout d'histoire du monde, le retour à la terre, l'épopée d'un couple de la ville qui essaie de survivre dans une ferme et qui ne trouve pas mieux que d'inviter tous les chalands à les aider et à vivre avec eux sur les prochaines récoltes... Et si le couple de La Foule avait une suite...

Oui, ça existe aussi, les utopies au cinéma.

Bien entendu, il n'y a rien ici qui rentrera parfaitement dans les cases des théoriciens habituels, non, et les dogmatiques de tous bords s'empresseront de détester le film, ce qui est une bonne nouvelle pour les autres...

C'est beau un champ de maïs en fait, quand on se donne la peine...

Pas d'utopie sans bâtons dans les roues, bien sûr, il y a la loi, enfin, les banques, une autre femme et la sécheresse...

Les plus aveugles d'entre nous ne verront bien sûr dans l'intrusion de la blondasse qu'une version de plus du triangle amoureux habituel, quand City Girl rencontre l'Aurore, ou quelque chose comme ça... Alors que c'est bien entendu autre chose qui est en jeu ici, l'intrusion de la modernité, de la vanité, de la ville, Harrison Ford chez les Amish, mais peroxydé et avec le serpent de la genèse entre les seins.

C'est difficile de parler d'un film aussi bouleversant, où chaque plan sur John Qualen donne des frissons, où un personnage rude et bougon me fiche les larmes aux yeux, où la fadeur du héros disparait derrière la douceur d'une Karen Morley qui lui tricote une chaussette...

C'est difficile de voir ce film en oubliant tout ce qu'il peut avoir de terriblement actuel, les expropriations, par exemple, ici, c'est chouette comme tout en plus, forcément, même que du coup, aucune banque a voulu financer le projet, le bon Vidor a du hypothéquer tout ce qu'il pouvait et faire avec les moyens du bord, ça tombe bien, on est dans le ton... Le film y gagne de ne ressembler à rien de déjà vu.

C'est charmant comme tout, un flume, parfois, moi ça m'émeut, j'aime bien qu'on sache prendre le temps de me montrer les choses, que chaque petit détail soit une merveille de cinéma et que le film avance tout de même à cent à l'heure sans coup férir.

J'aime bien l'idée qu'on pousse de l'eau pour l'aider à couler.

Il y a moins d'une heure et quart qui passe, comme ça, et tout un monde pourtant, jamais parfait, jamais facile, mais vivant, et il y a des plans qui sont terrifiants de beauté, vous allez détester comme jamais.
Torpenn
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le 21 mai 2013

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Torpenn

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