Observe and Report par jeangavrilsluka

Quand un pervers exhibitionniste terrorise le parking d’un supermarché, Ronnie (Seth Rogen) chef de la sécurité du lieu trouve dans sa traque le moyen de donner un sens à la morne existence qui lui est faite – et l’occasion aussi de révéler au monde l’étendue de sa sociopathie. Jody Hill n’est pas le plus connu des noms de la comédie américaine, il est pourtant un de ses talents les plus singuliers. Créateurs de la série Eastbound and Down, auteur de deux films et fidèle complice de Danny McBride (qui effectue un hilarant caméo dans O & R), il s’est spécialisé dans la peinture d’une americana du Sud un peu délaissée et de personnages à l’incommensurable bêtise qui s’y racontent le destin héroïque que la vie ne leur a pas vraiment réservé. Loin de toute attendrissement feint sur ses idiots magnifiques (mais aussi souvent effrayants), Hill évite tout mépris de classe par la férocité même de sa démarche, rappelant l’humour malaisant et désespéré d’un Dino Risi. Le malin plaisir qu’il prend ici à détourner Seth Rogen de l’image de nounours assexué -en dehors du visionnage de porno accompagné d’un pétard- qui lui a été faite est une saine réponse à la gentillesse feinte, autre nom du conformisme et de la normativité, qui guette parfois la comédie US (le dernier Apatow n’évite pas toujours cet écueil). Observe and Report pourrait rappeler une autre mode récente de la comédie violente (Super, Kick Ass, Defendor) où des loosers reprennent en main le cours des choses en se créant une persona de super-héros, mais en constitue en fait l’antithèse même : on hurle de rire quand Seth Rogen fracasse leurs skateboards sur la figure de pauvres gamins ou tire au tazer sur un paisible usagé de son parking, mais ce rire, loin de constituer une jubilation complice, est un pur effroi devant le gouffre qu’il y a entre la cause et les moyens utilisés. Toutes les ficelles du malaise, de la consommation de drogues trop dures pour être encore récréatives au consentement louche sinon inexistant avant que Rogen ne passe sur le corps de son rencard, bourrée, encore shootée aux antidépresseurs qu’elle vient de vomir et qu’il lui avait généreusement offert (Anna Faris, plus pouffe que jamais et toujours à la hauteur dans ce genre de rôles délicieusement antipathiques) sont tirées jusqu’à que la corde révèle sa limite. Il n’y a alors plus de justifications possibles, plus de bonnes raisons quelconques, mais un sens de l’absurde qui pourrait classer Hill parmi les grands cinéastes critiques contemporains, peut-être l'anar qui met les rieurs de son côté au fond de la classe. L’époque n’est pas gaie et il a choisi d’en rire sans s'en excuser. L’inintelligence absolue de ses personnages détraqués agit comme un révélateur sur une communauté anxiogène et nous rappelle que « l’homme de la rue » est aussi le héros de sa propre histoire, aussi crûment minable soit-elle vue du point de vue confortable qui nous est ici refusé. On l’aura compris, Observe and Report est l’antithèse d’un feel good movie mais l’expression de ce que la comédie peut et devrait être : ce miroir déformant qui, loin de les excuser, nous renvoie dans le rire à nos propres lâchetés et cruautés.