국제시장 / Ode to my Father (Yoon Je-kyun, Corée du Sud, 2014, 2h10)

Pour sa sixième réalisation, et dernière en date, Yoon Je-kyun débarquait en 2014 avec une œuvre bouleversante, d’une profonde simplicité, dont l’ampleur n’égale que la virtuosité. Il aura fallu cinq ans au cinéaste pour revenir derrière la caméra, après l’éminemment sympathique ‘’Miracle on the 1st Street’’. Et le moins que l’on puisse affirmer, c’est que l’attente aura valu la peine.


‘’Gukjesijang’’ est une fresque magnifique, touchante et émouvante, c’est ce type de production assez rare que l’on peut vraiment qualifier sans aucune gêne de ‘’beau film’’. Toute dedans y est magnifié, à commencer par les spécificités de la nature humain, une constante dans la filmographie du réalisateur, qui se fend ici d’une histoire parfaitement adaptée à ses thématiques.


Yoon Duk-soo est un homme âgé, qui partage son quotidien avec sa femme, Youngja, papi bougon il apparaît comme une personne difficile à vivre, et sa compagne de ne se gêne pas pour lui faire comprendre lorsqu’il dépasse les bornes. Leur complicité est certaine, et apparaît solide, de ce genre de relation qui ne peut aboutir que par le partage d’une vie à deux, sur de longues années.


Construit par l’apport de nombreux flashback, le récit adopte le point de vu de Yoon Duk-soo, de sa plus tendre enfance, et le traumatisme vécu par la fuite de sa famille de la Corée du Nord lors de la guerre, à sa vie d’adulte, en passant par sa rencontre avec Youngja, jusqu’à leur grand âge, en heureux parents d’une famille nombreuse.


Ces deux personnages, inspirés par les parents de Yoon Je-kyun, auxquels il a donné leurs noms, témoignent de la dimension personnelle de ‘’Gukjesijang’’, qui aurait pu se contenter d’être un simple hommage de Yoon à son père, mais préfère aller au-delà. C’est en effet à l’ensemble de sa famille dans son ensemble, que le métrage s’adresse.


En parallèle des aventures de Duk-Soo et Youngia, se dessine en toile de fond l’Histoire de la Corée. Le récit s’étend sur six décennies, de 1950 et le début de la guerre, jusqu’au début des années 2010, se faisant le subtil témoin des différentes étapes par lesquelles est passé le pays. La guerre, la dictature, l’explosion économique, qui permet au pays de passer d’un statut d’émergent à celui de riche, ce qui a forcément un impact sur l’évolution des mœurs.


À mesure qu’il vieillit, Duk-soo se fait de plus en plus aigri, et il a ses raisons que le film explique et justifie. Incroyablement fort et poignant, il est parfois difficile de retenir ses larmes devant certaines séquences, qui véhicule une émotion puissante, mais toujours d’une grande simplicité. Par une éloquence omniprésente, c’est directement dans les regards profondément humains de ses protagonistes que Yoon Je-kyun puise toute la magie de son métrage.


Véritable aventure anthropologique, le résultat final se présente très simplement comme un film sur la vie. Foisonnant de richesses, il invite quiconque à venir se plonger dans ce conte des temps modernes, pour se réconforter dans ses moindres recoins. De plus, en reprenant différentes époques, la toile de fond du récit principal permet d’en découvrir toujours un peu plus sur la société coréenne, ses valeurs et ses traditions.


Duk-soo est un survivant, ayant échappé au déchirement de la guerre, en ayant cependant été touché par le drame. Puis, au lendemain du conflit, plongé dans une profonde misère, l’heure est à la survie. Empreint d’un altruisme sans borne, devenu chef de famille par la force des choses, Duk-soo donne tout ce qu’il a pour les siens.


Ainsi, dans sa vingtaine il s’engager auprès d’une société coréenne, qui fournit de la main d’œuvre ouvrière à des mines d’Allemagne de l’Ouest. Le travail est difficile, harassant, épuisant, mais surtout dangereux. Cependant, Duk-soo ne perd pas la joie de vivre qui est la sienne, et c’est dans ce contexte qui rencontre une jeune étudiante en médecine, nommée Youngja.


À son retour il reprend le magasin de sa tante, pour lequel il a un attachement particulier, et subvient ainsi aux besoins de sa famille. Par la suite le métrage évoque la guerre du Vietnam, dans laquelle la Corée du Sud devait jouer un rôle minime, puis la dictature, qui prive peu à peu les libertés et assoit un ordre martial de plus en plus rigide. L’un des moments les plus saisissant du métrage, qui est à la fois tragique, mais emplit d’espoir, est le dégèle momentané des tensions avec la Nord.


Dans les années 1980, la nation du Sud lança une importante vague de recherche pour les familles ayant été séparées pendant la guerre, une trentaine d’années plus tôt. L’atmosphère est étrange, et les sentiments sont mixés, puisque c’est à la fois magnifique, et en même temps l’entreprise est gargantuesque, et anxiogène.


Moment historique dans la péninsule, des émissions de Tv faisaient intervenir des gens recherchant leurs proches. S’ils se reconnaissaient ils étaient invités à venir témoigner, donnant des éléments intimes pour s’assurer que les personnes étaient les bonnes. Cela donne une séquence particulièrement éprouvante dans ‘’Gukjesijang’’, qui retranscrit là un événement totalement improbable, comme seul la vie réelle peut s’en garnir.


La petite histoire dans l’ombre de la grande voit ainsi les destins de Duk-Soo et Youngja devenir indissociable de l’Histoire de la Corée. Une caractéristique qui n’échappe pas à l’œil malicieux de Yoon Je-kyu qui semble avoir parfaitement compris de quoi il en retourne. Cette vision du cinéaste est loin d’être inédite, puisque dans ‘’Miracle on the 1st Street’’ il parvenait déjà à faire cohabiter le drame humain avec les spécificités d’une société en perpétuelle évolution.


Sans jugement et emplis d’une infinie tendresse Yoon film se met à nu en mettant en scène son père, cet homme chaleureux, tour à tour drôle, attachant, bien que taciturne, qui peut parfois être particulièrement froid, introverti et dur avec ses proches. Mais il demeure honnête et droit, faisant sans cesse passer ses principes, son confort et ses besoins au second plan, pour aider les gens qu’il aime et qui l’aiment.


Comme une véritable déclaration d’amour à ses parents, cette ode offerte par le regard d’un enfant, rempli d’une certaine candeur, permet de voir naître sous nos yeux un véritable chef-d’œuvre du septième art. Si la filmographie de Yoon Je-kyun est tout de même un peu en dent de scie, ses thématiques qui la parcourent trouvent ici une résonnance particulière.


Les outcast, les misfits et les différents considérés par comme marginaux ou tout simplement fous. La dureté d’un quotidien, où seul l’entraide et l’altruisme répondent à l’adversité d’une société tour à tour cruelle, dur et violente. Mais aussi cette idée qu’en chacun de nous réside un cœur, présent en chaque individu.


Film magnifique, œuvre solaire, métrage virtuose, sa beauté et la maestria de son mélange des genres, font de ‘’Gukjesijang’’ une fresque humaine absolue marquante. Film de guerre, comédie, chronique ouvrière, romance, satire sociale, c’est tout ça que parvient à faire Yoon Je-kyu, avec une aisance rare, rendant le tout particulièrement passionnant.


Il est alors possible de voir cette œuvre d’exception, telle qu’il en existe finalement assez peu, comme touchée par la grâce. Sa construction peut ainsi faire penser au ‘’Forrest Gump’’ de Robert Zemeckis en 1994, qui de la même manière allait et venait dans l’Histoire des États-Unis, alliant la petite histoire dans la grande, avec une authenticité rare. Celle de ces petites histoires du quotidien, dont la simplicité feinte nous offre des multitudes de choses à raconter.


Jusque-là habitué avant tout à la comédie, même son film catastrophe ‘’Hundae’’ était avant tout comique, Yoon Je-kyun livre avec ‘’Gukjesijang’’ une œuvre inattendue, mais pas si surprenante que ça. En effet, elle ne fait que révéler ce qui se cachait dans le cœur de sa filmographie. À savoir une profonde compréhension de ses contemporains, qu’il s’évertue à explorer avec une réelle bienveillance. C’est là, me semble-t-il l’apanage des grands cinéastes.


-Stork._

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le 8 mai 2020

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