Sorti dans les années 60, durant le développement des courants féministes, Onibaba porte un regard glauque sur la sexualité de la femme. Loin des héroïnes innocentes et virginales hollywoodiennes, la jeune femme en manque de passion charnelle, ira s'offrir d'elle même à son ravisseur. De même, si sa belle-mère va tout tenter pour éloigner les deux amants, c'est moins pour la protéger de cet homme libidineux, que pour la garder sous son contrôle. La vieille femme est consciente que le passage du temps ne l'a pas épargnée. Alors, jalouse de la jeune beauté, elle imagine un stratagème machiavélique pour s'assurer de la dominer, afin de pas finir pas ses jours à se languir dans la solitude.

Malgré une prolifique carrière, cette fable horrifique est certainement l'œuvre maîtresse du cinéaste avant-garde japonais Kaneto Shindo. Au même titre que le sulfureux "Empire des Sens" de son confrère Nagisa Oshima, le film met en scène un jeune couple, qui n'existe que pour s'abandonner aux plaisirs de la chair, et qui évolue dans un univers dénué de valeur et de sens moral. Les deux femmes vivent cachées, au milieu d'un labyrinthe d'herbes hautes, à l'abri de la guerre civile qui fait rage alentour. Pour survivre, elles assassinent impunément les malheureux samouraïs qui s'égarent dans leur marais et échangent leurs armes et armures contre quelques sacs de riz. Dès l'ouverture, où les deux femmes dépouillent sans remords les cadavres de soldats qu'elle viennent de tuer, Shindo nous plonge dans le quotidien de personnages livrés à eux-même, sans espoir de rédemption, et qui n'accordent d'importance ni pour la religion, ni pour la mort.

A l'opposée des scènes de sexe à la limite de la pornographie de l'Empire des Sens, la mise en scène épurée d'Onibaba fait froid dans le dos et reflète le caractère nihiliste du film. Shindo filme sans artifice, et sans jugement. L'objectif voyeuriste de la caméra, souvent placée en hauteur au dessus des personnage, apparaît comme le regard d'un dieu omniscient qui se contente d'observer ces pathétiques créatures déshumanisées, régies par leur seul instinct animal. A l'image de « Les Yeux sans Visage », un autre film d'horreur psychologique des années 60 sur le thème du masque et de la répression des émotions, la perte d'identité est au cœur du film. Les personnages se demandent sans cesse si leurs actes malfaisants ne vont pas les mener droit en enfer, et le masque de démon dont s'empare la vieille femme au cours du film, devient la manifestation physique de sa cruauté et de son sadisme.

Contemplatif à l'extrême, le film n'en est pas moins gorgé de tension érotique. Tandis que la saturation de la lumière et des ombres souligne les émotions exacerbées des personnages, les battements de tambours qui rythment le film symbolisent la passion de leurs ébats. Enfin, les longs plans fixes sur des hautes herbes, qui oscillent au gré du vent, représentent à la fois la caresse sensuelle d'une main dans de longs cheveux, et le sentiment dérangeant qu'une présence maléfique pourrait surgir à tout instant. Le calme avant la tempête en quelque sorte...

Onibaba dresse un portrait à la fois terrifiant et honnête de personnages méprisants, dont les actes ne sont dictés que par leur soif de contrôle et leur appétit sexuel. Son discours sur la libération sexuelle peut parfois porter à sourire pour un public contemporain, mais le film marque surtout par le jeu intense des comédiens, la force évocatrice des images, et par son atmosphère déprimante, qui se joue des tabous et donne envie de se pendre...

Note : 7/10
Nazgulantong
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le 14 août 2014

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