Le défi était de taille pour Arthur Harari.


En 2016, nous découvrions son premier long-métrage. Diamant noir remettait alors au goût du jour le polar avec son histoire de vengeance familiale et de braquage, centré sur des diamantaires anversois. Comment alors, après son premier grand geste de cinéma, poursuivre son travail ? Alors que nous avons insufflé à notre premier projet toute une vision, toute une identité, tout un projet cinématographique, comment penser la suite ? Comment transformer l’essai ? Entre à la fois volonté de continuité, d’affirmation d’un style et à la fois volonté de nouveauté et d’originalité, le second long-métrage est toujours plus compliqué. On dit alors souvent d’un metteur en scène qu’il passe le reste de sa carrière à réaliser le seul, et même film, avec des déclinaisons autres.


Rien ne serait plus faux pour Arthur Harari. Le défi était de taille et a été brillamment relevé. Voyons pourquoi et parlons d’Onoda, 10 000 nuits dans la jungle.


C’est en 2021 à Cannes, où le long-métrage fait l’ouverture de la sélection Un certain regard, que nous découvrons pour la première fois le pari fou d’un soldat courageux, nommé Harari. Le terrain de son second film est un pas de côté d’un courage rare, une rupture totale, aussi bien géographique que temporelle. Le film s’ouvre en effet sur la petite île philippine de Lubang en 1974. On s’éloigne alors de notre monde européen, occidental pour découvrir l’histoire sidérante, extraordinaire et pourtant vraie d’Hiro Onoda. C’est dans un film bel et bien français, tourné entièrement en langue japonaise et avec des acteurs japonais, que l’anecdote immense du dernier des « traînards » de la guerre du Pacifique se déploie.


Au bout de quelques minutes de film, l’ellipse majeure du long-métrage, de près 30 ans, se produit et nous emmène au commencement de son improbable histoire : l’arrivée en 1944 du dévoué Onoda sur une île du Pacifique pour mener une guérilla contre les Américains. Il se révélera être un soldat particulier, chargé par le gouvernement japonais de poursuivre le combat quoi qu’il arrive. Ignorant tout signal extérieur pouvant annoncer la fin de la guerre pendant des décennies, ce sont bien 10 000 nuits dans la jungle que le Japonais passera dans cet univers totalement étranger au spectateur français.


Comment alors aborder une histoire si dantesque ? Comment nous faire ressentir la psyché d’un homme qui se croit des plus sensés, mais dont les actions sont ahurissantes ? Un premier élément de réponse est la qualité du montage de Laurent Sénéchal qui s’attache à répondre à la délicate question de l’ellipse et de la coupe.


Les morceaux de vie que l’on nous montre sont alors captivants et sont d’une grande poésie. De l’infiniment petit d’une caresse au bas du corps entre deux hommes à l’infiniment grand d’un salut au soleil levant, Onoda marque les esprits. Les scènes comme celle de la baignade sont touchantes, sublimées par le 35mm du frère d’Arthur, Tom.


Mais la beauté, aussi enivrante soit-elle, n’est rien toute seule. Elle est ici au service d’une logique d’immersion. Les 167 minutes de long-métrage peuvent apparaître repoussantes, mais sont en fait absolument nécessaires. On ressent comme Onoda le poids des années qui passent tout en perdant nos repères lors de cette aventure qui s’étale sur plus de 30 ans.


On assiste alors, parfois désorienté, à la naissance d’une folie qui a l’intelligence d’être filmée de manière non pas extravagante mais réservée, pour que ne l’on en perçoive pas réellement les étapes. L’homme devient alors son devoir, ne fait plus qu’un avec la nature. Si le soldat demeure parfois insondable, son entêtement absurde, il réussit à nous questionner sur notre rapport au monde, sur le sens que l’on donne à notre vie. En effet, Onoda n’est défini que par son combat, par un rien qu’il refuse de voir.


Les lieux de l’île sont cartographiés, nommés imaginairement et c’est avec un impressionnant déni que les indices de la réalité du monde extérieur sont rejetés, considérés comme une vulgaire propagande, nos infox avant l’heure d’une certaine manière.


S’accrochant à son propre monde et se détachant complètement de la civilisation Onoda forge son propre destin, qu’il soit entouré ou seul. Lors de ces 10 000 nuits dans la jungle, Onoda aussi pitoyable que superbe invente sa propre histoire, construit son propre mythe. L’émotion surgit. On aura rarement vu aussi belle allégorie sur le travail du conteur, du metteur en scène. Harari fait corps avec son histoire et nous ne pouvons que faire corps avec son long-métrage.


Lorsque ce dernier, avec Vincent Poymiro, remporte le césar du meilleur scénario original. C’est sa propre mission qu’il accomplit enfin. Il déclare alors « Ce qu’il manque peut-être le plus à ce milieu ici représenté ce soir, c’est peut-être le courage. Ce courage qui fait faire des choses autres que convenues, autre que du consommable ou du contenu. […] On ne va pas au supermarché pour avoir une émotion ». Non effectivement Arthur, on ne va pas au supermarché pour avoir une émotion. On regarde l’un de tes films. Merci à toi.

Jean-BaptisteRoux
8

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Créée

le 28 mars 2023

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