A petite échelle on assiste ici à une passe d'arme entre Oppenheimer scientifique, chef de projet fin du monde, et Strauss ancien vendeur de chaussures reconverti dans l'atome.
Les deux hommes, après une guerre mondiale et deux villes japonaises rasées, vont s'affronter sur les cendres chaudes et radioactives du projet Manhattan. Et même si le scientifique semble plus en quête de rédemption que de bagarre, les deux hommes vont apprendre la dure leçon que les nations devront très vite assimiler : quand on n'a plus que des armes de destruction massive pour se menacer, le seul dénouement possible quand on lâche ses coups c'est la destruction mutuelle.
Nolan nous raconte parfaitement cette histoire, avec son amour des timelines imbriquées, sa minutie, sa capacité à donner du rythme à un film de 3h remplis de scènes de dialogue (et séquences avec Albert Einstein qui nous rappelle les meilleurs moments d'Alerte Rouge). Pour ça il s'est entouré d'excellent acteurs, c'est habillement monté, et rien n'a été laissé au hasard. C'est brillant.
Mais ça reste la petite histoire.
La grande histoire, c'est le Maccarthysme, c'est la physique quantique qui chamboule notre compréhension du réel, c'est ce nouveau monde capable maintenant d'arrêter toutes les guerres ou d'en perdre une ultime, c'est la puissance incommensurable de la bombe atomique, c'est le dilemme moral de construire un outil que l'on ne veut voir tester mais jamais utiliser, c'est l'être humain qui joue avec des forces qui le dépasse, incapable collectivement de se donner des limites. Et sur cette partie j'ai trouvé Nolan un peu timide, le film avoir un goût de trop peu. A quoi bon cramer des rouleaux de 70mm et réclamer des salles dolby si c'est pour nous enfermer dans un bureau de sous-comité de la commission de l'énergie. A quoi bon nous parler d'étoiles qui s'effondrent pour rester dans des batailles d'égo, sans peur ni rêves.
Et surtout où est l'émotion que l'on a pu ressentir dans Le Prestige et encore plus dans Interstellar ? Ce n'est pas la bande originale très plate qui viendra nous transporter en tout cas. C'est forcément plus difficile avec un biopic, mais tout est très froid, on a du mal à se soucier réellement du sort et des états d'âme d'Oppenheimer, on ressent trop peu, ni peur ni vertige, et on peut se demander si ce film était vraiment la bombe annoncée.