Coupe toi un doigt alors !
Le dernier film de Kitano n'est pas du Hana-bi, pas du Kikujiro... Ce n'est pas un film empreins de poésie comme pouvaient l'être une bonne majorité de l'œuvre de "Beat Takeshi"... Non, ici, Kitano a tout simplement détruit le genre. Le genre yakusa, bien sûr, celui qui a fait sa réputation, à coup de courts accès de violences, entrecoupés de longs moments poétiques, mélancoliques, presque contemplatifs, ou tout simplement ironiques....
Ici, Kitano s'amuse à tout démonter en deux heures de temps... Dès la première scène, on est dans le bain. Un long travelling fait défiler devant nos yeux des dizaines de yakusas, berlines noires garées sur le côté, en train d'attendre, impassibles... L'excès est déjà de mise.
Et ensuite, c'est une succession, une avalanche d'absurdité, d'exagération, d'hors propos... Les personnages s'empilent comme de vulgaires pions, se font tuer, se font manipuler chacun leur tour. Aucun n'a réellement de personnalité, ils sont tous ridicules. Les chefs de clans n'ont aucun charisme, même le personnage de Kitano est bien moins marquant qu'à l'accoutumée...
On s'insulte à tout bout de champ, on se frappe sans raison, on se coupe des doigts en veux-tu en voilà...
L'excès de violence, verbale et physique, est jouissive. Les morts s'enchaînent, sans vraiment qu'on ai eu le temps de toujours comprendre qui était qui. L'histoire, limpide malgré ce que j'ai pu lire ici et là, est déstructurée. Les trahisons sont multiples, les rebondissements inattendus, et en même temps, le traitement de Kitano du sujet empêche une réelle implication... Chaque grand moment devient comique. Le sadisme des tortures et exécutions, toutes plus inventives les unes que les autres (la dernière est exceptionnelle), les pétages de plombs, tout ceci contribue à rendre l'ensemble absolument absurde, comique...
Kitano ne croit plus aux films de yakusas, en tout cas c'est ce qu'il se dégage d'Outrage... "Beat Takeshi" semble être désabusé de ces histoires, de ces complots, de cette mafia excessive qui se prend trop au sérieux... De cette mafia qu'il a dépeint pendant des années...
Le personnage joué par Takeshi Kitano, Otomo, sourit souvent, rigole presque de ces situations... Comme un regard autobiographique sur ses propres oeuvres... On sait que Kitano a toujours beaucoup douté de son art, en est-ce ici encore la preuve ?
D'un strict point de vue artistique, Outrage n'atteint pas la force d'un Sonatine ou d'un Hana-Bi. La mise en scène, très variée, est réfléchie, on le voit bien. Les plans et contre plans, travellings excessifs, et autres angles de camera un peu inhabituels dans l'œuvre de Kitano s'enchaînent, parfois à une vitesse supersonique (pour du Kitano toujours...), encore une fois c'est une réelle destruction de la signature artistique du maître.
Cependant, l'ensemble est quand même assez peu agréable à regarder. On est dans une mise en scène presque trop conforme, un espèce de Social Network version yakusa... Peu de plans nous surprennent, hors quelques utilisations de décor très astucieuses.
La musique n'a pas non plus la force des anciens Kitano, le sujet ne s'y prête pas forcément, c'est vrai, mais l'ensemble reste assez décevant. La direction artistique nous laisse vraiment sur notre faim...
Au final, Outrage est un bon film de Kitano, qui exprime une fois encore tous les doutes qu'a toujours eu le réalisateur Japonais sur ses propres œuvres, sur sa façon d'exercer le cinéma (comme la peinture). Une œuvre bien plus profonde qu'une simple tuerie entre clans mafieux. Et si l'ensemble est très ironique, violent, absurde... C'est absolument jouissif ! On rit finalement beaucoup devant Outrage, même si parfois c'est limite, et on ne s'ennuie pas beaucoup. L'histoire reste passionnante, et c'est vraiment un manque profond d'élan artistique qui empêche à ce film d'être une vraie réussite.
Mais bon, il ne méritait quand même pas cet accueil extrêmement mauvais à Cannes...
