Après une trilogie introspective marquée par un violent défaut d'inspiration (seul le troisième vaut le coup d'oeil), Kitano tourne la page et réalise un yakuza eiga plus proche de Aniki mon frère dans l'approche, en laissant de côté ses apartés poétiques qui constituaient la moelle épinière de son style, ce qui risque de laisser plusieurs anciens fans sur le carreau. Mais si on parvient à faire ce deuil artistique, et donc à passer outre une mise en scène plutôt conventionnelle voire plan-plan, et minée par un rythme légèrement ampoulé (une qualité pour ses films contemplatifs qui devient ici l'un de ses défauts) et une faute de casting (l'ambassadeur africain), on est récompensé par une intrigue psychologique globalement bien écrite aux airs de film choral, ponctuée par des sursauts de violence, et s'inscrivant ainsi pour toutes ces raisons dans la droite lignée de Kenji Fukasaku.


Certes, l'histoire n'a rien d'original en soi, mais elle est conduite efficacement (du moins dans son premier acte), et surtout constitue une sorte de chaînon manquant avec la saga de son ex-mentor (sans l'ambition historique) en nous offrant une lecture contemporaine de la criminalité japonaise. Ainsi en dépit du nouveau contexte d'expansion (les casinos qui s'installent dans les ambassades !), rien n'a changé depuis 60 ans. La fraternité et le code d'honneur n'ont toujours aucune valeur, une pure farce qui justifie un jeu d'intérêts personnels mené d'une main de maître par le cynique Big Boss qui retourne les uns contre les autres, tout en s'accaparant leurs gains. Or, Kitano sait parfaitement filmer cette spirale de violence crue et sans concession (sans une once de second degré) avec des règlements de compte qui font bien mal (on l'avait jamais vu comme ça le père Kitano). Dans ce jeu de la chaise musicale du pouvoir, aucune place n'est acquise pour toujours, et les faibles d'hier peuvent devenir les puissants de demain, laissant en bouche un goût de condamnation sans appel.


Je suis par contre moins enthousiaste par toute la longue séquence du casino que les yakuza ont pu introduire à l'ambassade africaine qui n'a nulle autre utilité que de révéler l'étendue de ces ramifications criminelles, et qui de plus introduit un acteur d'une rare médiocrité. Il faut alors prendre son mal en patience pour suivre une intrigue qui se renouvelle guère en intérêt, après avoir déjà dévoilé les motivations de chaque personnage au bout de moins d'une heure. Mais heureusement que le cynisme des personnages et les séquences de torture bien graphiques arrivent à point pour éveiller l'attention du spectateur jusqu'au dénouement final. Certainement l'un des moins bons yakuza eiga de Takeshi Kitano, qui peut s'apprécier davantage si on a une connaissance solide du genre. Et surtout, une page du cinéma est tournée, tant le second Outrage semble confirmer que le Kitano de Sonatine ne reviendra pas de si tôt.

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le 19 avr. 2017

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Dun

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